mercredi 23 janvier 2008

Tennis : du carbone dans les raquettes

Figaro, 1992

Le bras ne plie pas. Raide comme une poutre d'acier, la raquette en graphite réexpédie la balle à plus de 100 km/h, jusqu'au fond du court, laissant sur place le joueur adverse. Retour gagnant. Le rêve. Mais au hit-parade onirique des manieurs de raquettes, il y a encore mieux. C'est le service-canon. Comme à Wimbledon. L'herbe rase y fait fuser les balles après des rebonds on ne peut plus économes en énergie. Le relanceur parait ensablé.

De ces phantasmes de puissance à la réalité, désormais, il n'y a plus qu'un pas : celui du chèque qui donne accès à la technologie. L'arme absolue, la Durandal des courts de tennis est en magasin. La raquette à grand tamis, et à cadre plus ou moins profilé, mais toujours en fibre "noble", carbone, kevlar, y règne sans partage depuis quelques années. Une alchimie optimisée par conception sur ordinateur et réalisée à grand renfort de matériaux composites, tant pour l'armature que pour les cordes, qui a mis un turbo dans le jeu des amateurs et des professionnels : jusqu'à 30 % de puissance en plus par rapport aux bonnes vielles raquettes en chêne du Canada des Borg, Jauffret et autres Rod Laver.

Par la grâce des laboratoires, le court est devenu en une décennie un polygone de tir. Les balles de service traversent les 24 mètres du court de tennis standard en moins de 650 millisecondes, à plus de 200 kilomètres heure de pointe, rapportent les radars. Les "aces", ces services gagnants qui ne laissent pas une chance de jouer à l'adversaire, tombent comme la pluie sur Roland Garros. Mais dans les tribunes, les spectateurs soupirent d'ennui, en rêvant aux "toucher" de balle de jadis, et aux renversements du jeu en cours d'échange. A tel point que la Fédération Internationale de Tennis a réuni au début de l'année ses experts pour évoquer le problème de cette déferlante technologique. Leur demandant de réfléchir à d'éventuelles solutions règlementaires. Car les amateurs du beau tennis risquent de se lasser si demain les échanges, s'ils ne se limitent pas à de simples concours de services gagnants, version tennistique des séances footbalesques de tirs au but, se réduisent à quelques coups de raquette-fusil, consistant à expédier le plus violemment possible la balle de l'autre côté du fameux filet ?

"Les raquettes ont énormément progressé, c'est vrai, et ce n'est pas terminé, mais parralèllement les joueurs de haut niveau sont également de plus en plus athlétiques. Et là, nous n'y pouvons rien", plaide Thierry Maissant, président de la firme Major, fabricant de raquettes et cordeur officiel du tournoi de Roland Garros.

Ce responsable de PME a su s'engouffrer dans le créneau pointu que l'explosion de technologie a ouvert sur le marché des raquettes avoue être pour une limitation des performances des cadres. Par exemple dans la raideur de l'engin, du moins pour la compétition.
L'émeute commence en 1976, avec la raquette à grand tamis de la firme américaine Head. Simple, évidente, l'idée met en oeuvre un cadre d'aluminium, technique déjà connue, mais avec une surface de tamis doublée par rapport au formes classiques (800 centimètres carrés, contre 450). Ces raquettes font d'abord sourire les pros. Mais en doublant la surface de frappe optimale de la balle, la puissance du tamis, tout en maintenant le poids de la raquette dans les limites tolérables par le bras du joueur (en bois c'était impensable), elles vont s'imposer. Fibres de carbone et de verres, moulées à chaud, vont transformer dès 1978 cette idée en révolution. Ces matériaux-là, jusqu'à 5 fois plus résistants que l'aluminium, et trente fois que le bois, permettent d'augmenter la rigidité des grands cadres, en réduisant cette fois le poids de 350 à moins de 300 grammes, précise Thierry Maissant. Outre la rigidité, la faculté de placer davantage de poids en tête offre, à partir du début des années 80, encore plus de performances aux joueurs. A l'université de Pensylvanie, des chercheurs ont calculé que la seule augmentation de 33 % du poids "en tête" augmentait la vitesse de balle de 5 %. Surtout, le gain de maniabilité (vitesse d'exécution des coups), permet d'accroître la vitesse de balle de près de 30 %. En gros, par la simple augmentation de surface et de la rigidité, on a gagné 20 % sur la puissance restituée à la balle.

Pour comprendre comment, il faut se pencher sur les relations intimes du couple cadre-cordage. Les cordes s'allongent sous l'impact de la balle, ploient comme un trampoline, prennent puis restituent une partie de l'énergie à la balle, quand celle-ci a accepté de changer de direction. Une bonne part de l'énergie initiale est perdue, dans les cordes, le cadre, la bras du joueur. Mais bien entendu celui-ci en rajoute la dose désirée, par son geste technique de frappe.

Deux constats s'imposent alors : moins un cordage est raide, plus puissant il sera, puisque tenant plus longuement la balle dans ses rets, et bénéficiant d'une allonge supérieure, il sera capable de réaccélérer la balle plus efficacement. Au contraire, un cordage raide et plus tendu, sera moins puissant. Par contre, plus le cadre est rigide, moins il ploie sous le choc, et plus l'énergie restera dans la tamis, disponible pour relancer la balle. Cela est dû au fait que le cadre n'a pas le temps de restituer efficacement l'énergie qu'il dérobe, du fait de sa souplesse : la période de son fléchissement est trop différente du temps de présence de la balle dans le cordage (6 millisecondes)
Dès 1984, les cadres en bois s'évaporent du circuit des joueurs professionnels. Seul Borg tentera un retour, en 1991, avec sa raquette fétiche en bois. Opposé à Jordi Arrese, un frappeur à raquette graphite, il se fait sortir en deux sets. Depuis, il joue avec un raquette composite.

Nouveau saut technologique : l'apparition en 1987 des raquettes profilées Wilson, sur le brevet d'un inventeur allemand. On diminue la surface frontale, mais on augmente la largeur de la raquette. Jusqu'à 4 centimètres, pour les plus extrèmes. Le profilé, souvent en carbone et kevlar, est bourré de mousses diverses, comme le Navcom, chez Major, destinées à absorber chocs et vibrations. Car si ces raquettes, encore plus raides et légères, tapent comme des planches, et permettent aux cordes de remplir de façon optimale leur mission de trampoline, elles soumettent le coude du joueur au risque croissant du tennis elbow. Transmettant évidemment au bras du frappeur la moindre vibration.

"Pour le joueur moyen, c'est tout de même un progrès fantastique. On gagne 30 % en qualité de jeu. Mais il faut se faire conseiller et choisir un cordage adapté à sa façon de jouer pour éviter la tendinite", indique Eric Breton, spécialiste des cordages, à la Fédération Française. "Il faut reconnaître que cette évolution pose des problèmes aux professionnels. Ceux qui travaillent en toucher de balle, comme Edberg, trouvent ces cadres profilés trop puissants, leur reprochent de ne plus permettre un contrôle suffisant de la balle. Et puis un jouer de ce niveau met des mois, des années à s'habituer à une solution de raquette. Il ne peut pas changer tous les deux ans, sous peine de dérègler son jeu. L'évolution est si rapide qu'un jeune espoir démarre aujourd'hui avec un type de cadre qui sera dépassé quand il sera sur le circuit professionnel. Changera-t-il alors ? Difficile décision...", estime Thierry Maissant.

D'autres joueurs s'engouffrent dans cette brèche, et se font bâtir sur mesure des raquettes prototypes qui détruiraient le bras d'un joueur du dimanche.

Alors, pour rendre sa part au spectacle, certains tournois en salle utilisent des balles plus lentes. Dans les commissions de réflexion, on a parlé de diminuer la surface du carré de service, de monter le filet, de ne plus laisser qu'une balle de service, d'empêcher le jouer de sauter lors du service, de règlementer la forme des raquettes (leur surface est déjà limitée), leur composition, leur rigidité. Peu satisfaisantes, ces solutions paraissent condamnées. L'une des voies dont on parle le plus serait de réserver aux professionnels des balles un peu plus grandes, donc plus lentes en raison de frottements dans l'air accrus (proportionnels à la section de la balle). Accepteront-ils de jouer avec des super-raquettes

Aucun commentaire: