mardi 22 janvier 2008

Synchroton Grenoble

Fig Mag, 1992

Et la lumière baigna les anneaux

Au devers des contreforts d'un Vercors battu par le vent, les 850 mètres de béton gris étalent dans la plaine un cercle assoupi. Sur les cimes, tout est roc, fureur, chaos. Même en bas, les flots gris de l'Isère et du Drac bouillonnent de rage en encadrant ce monument lisse et parfait, que les hommes ont érigé pour arracher à la matière quelques secrets.

Le synchrotron européen de Grenoble (ESFR), les physiciens de douze nations l'édifient depuis 5 années pour y faire chatoyer leur reine. Une machine-palais, dédié à lumière que produisent, rien que pour leurs yeux, des électrons. Ces morceaux d'atomes y sont domestiqués, accélérés, puis enivrés dans un manège infernal, une ronde d'énergie pure. A chaque fois que l'on frôle ce cortège, à l'aide d'un champ magnétique, un rayonnement jaillit. "Fiat lux", la lumière synchrotron. Faite de multiples fréquences autour des rayons X, cette lueur est seule capable de pénétrer les constructions opaques, pour aller palper les atomes des virus, médicaments, matériaux.

En ombres chinoises se profilent alors les portraits intimes de molécules dévoilées. Autant dire que les manèges à électrons seront demain les microscopes de tous les avides de la matière : chimistes, pharmaciens, électroniciens, physiciens, biologistes... Tous ils viendront vers ces phares du microscopiques, en quète des distances entre atomes, des angles, des ramifications architecturales qui font les mille et une propriétés de leurs molécules préférées. Ces plans de l'infiniment petit en main, ils pourront réfléchir, gaver leurs ordinateurs, leur demander de simuler autre chose. Ou alors ils reviendront vers le synchrotron. Pour y assister au film des interaction entre plusieurs molécules différentes.

Ce matin, le temple de béton parait aussi minéral que les Alpes. Dans les entrailles de l'engin des centaines de pompes, de vannes, de transformateurs sont pourtant à la besogne, sans un frémissement. Un silence surnaturel, qui a été fiévreusement calculé par les ingénieurs. La moindre vibration dévierait le faisceau d'énergie de quelques fractions de millimètre. Hors de question. Pour rester "brillant" le cortège des électrons doit occuper sa place, avec une section d'un dixième de millimètre (la coupe d'un cheveu). Et en cas de déviation due à une défaillance, les ordinateurs de sécurité veillent, et couperaient les 15 mégaWatts que dévore la machine, "tuant" le faisceau.

"Nous ne pouvons pas le laisser s'évader, c'est une torche à souder, capable de faire des dégats aux installations. D'ailleurs tous les miroirs et autres éléments en contact avec les électrons ou la lumière sont refroidis à l'eau ou à l'azote liquide (-172 degrés C)", commente Jean-Louis Laclare, directeur du projet.
Pour être certain que leur machine restera toujours d'aplomb, les ingénieurs ne se sont pas contentés de filtrer les vibrations. Simple comme l'idée d'Archimède, un système de vases communiquants surveille l'horizontalité de l'anneau entier. Au moindre mouvement de liquides, les ordinateurs commandent des verins qui remettent le tout en place. Les dérives dues à la dilatation du béton et des métaux sont elles aussi enrayées : les 300.000 mètres cubes du bâtiment sont climatisés, au degré près.

Depuis des jours, les machines aspirantes racolent les dernières molécules d'air présentes sur le parcours du faisceau. Le vide est l'allié de la lumière. La moindre particule, à cette vitesse, devient un mur qui use le faisceau...

Et en huit heures de bons et loyaux services, chaque bouffée d'électrons parcourt plus de 8,5 milliards de km. Alors pour que sur cette distance, elle ne rencontre rien, on vide le vide de ses dernières traces. Pour éviter que sous la succion le métal des tubes ne joue les éponges, crachotant d'encombrants atomes d'oxygène, il a fallu tapisser l'intérieur de l'anneau de glicop. Un alliage spécial, qui résiste à la dépression. D'autres pompes, elles, s'occupent des aimants, refroissent ceux qui vont contrôler le manège du faisceau. Les silhouettes des techniciens fourmillent autour de quelques cavités accélératrices qui supporteraient encore quelques réglages. Coup de klaxon. Tout le monde se réfugie derrière les murailes de béton.
Dans quelques minutes, les électrons seront lâchés dans l'arène, pour un nouvel essai complet...

"Ils parcourent les 850 mètres de l'anneau de stockage en 2,8 microsecondes, et effectuent 350.000 tours à chaque seconde". Ruprecht Haensel, le directeur du synchrotron est ravi. Cet Allemand a été l'un des premiers, en Europe, à croire aux vertus de la lumière magique. Et aujourd'hui sa cathédrale à lumière a six mois d'avance sur les délais, tout en tenant les 2,6 milliards de francs du budget !

La machine européenne, avec sa puissance de 6 GeV (milliards d'électronvolts) sera livrée aux chercheurs au début de 1994, et deviendra alors la plus puissante au monde. Devant les Américains et les Japonais.
Les bouffées de lumière que l'on produira ici auront 10.000 fois plus de puissance que celles des générations actuelles. Centrés autour des rayons X "durs", ces coups d'éclats pourront épouser les formes infimes des atomes, descendant dans le domaine de l'Angström : un dix-milliardième de mètre. Chercheurs et industriels devront alors tirer parti de ce seigneur des anneaux !


Synchrotron : le manège lumineux des particules
Accélerer des particules pour faire de la lumière ? L'idée parait surprenante. Les premiers physiciens qui observèrent le rayonnement synchrotron, en 1947, le trouvèrent d'ailleurs fort gènant pour leurs affaires. En rechignant quand on les soumet à une déviation, les particules émettent des rayonnements, mais grignotent de l'énergie, et font perdre de l'efficacité à des machines construites à d'autres fins.
On commenca donc par combattre ardemment toutes ces lueurs.
Mais au début des années 60, des physiciens comprirent l'intérêt de cette lumière "parasite".


Faire tourner les électrons n'est pas suffisant. Pour obtenir une meilleure clarté, Marc Diot réalise à la main les aimants générateurs de lumière, les onduleurs. En fer doux et en acier, ces monstres peuvent atteindre des masses de plus d'une tonne, mais de la précision de la disposition de chacun des centaines d'élément, au millimètre, dépendra la qualité du parcours des électrons, et de la lumière.

Les miroirs qui servent ensuite à conduire les rayons X dérobés aux électrons vers les échantillons à observer sont eux aussi particuliers. Refroidis à l'azote liquide, ils sont en silicium ou encore en diamant.
La précision obtenue à Grenoble par les artisans de ces dispositifs est telle que l'on pourra obtenir, outre les images statiques, des films, où l'on verra se former un cristal dans l'intimité de ses atomes, interagir deux molécules, se réaliser un alliage.
"Pour éclairer, il suffit de trouver la lampe", glisse un ingénieur.

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