vendredi 11 janvier 2008

Sommeil (dossiers)

Dossiers sur le sommeil pour le Figaro
et Ca M'intéresse (vers 1990 et 1991)


La nuit, on a tous un train à prendre. Destination : un monde inconnu, que nous sillonnons 25 années durant. Un tiers de leur vie, les milliards de cerveaux-dormeurs de la planète fréquentent des aiguillages sombres et cahoteux, horriblement incertains. Et dans ce trou noir, le petit nom de l'enfer est sur toutes les lèvres : insomnie.
Des nuits sans merci, qui frappent 15 % de la population des pays occidentaux.
Aux Etats-Unis, une étude menée sur de jeunes recrues a montré que les insomniaques sont de vrais handicapés. Non seulement il sont hospitalisés plus souvent que la moyenne, mais en outre leur évolution de carrière est moins bonne, leur rémunération moyenne inférieure.
Mais quels insomniaques ?
Il y a les sous-actifs, qui vivent un état de semi-somnolence. Mais il y a aussi, dans la même situation, les hyperactifs. Qui bourrent leur journées, et se couchent le cerveau en ébullition, pour ne pas dormir. Ces non-dormeurs ont un trait commun : ils ont plus de mal que les autres à vivre une situation nouvelle, un événement malheureux ou heureux.
Et puis il y a encore ceux qui ne peuvent rien à leur situation.
Serge, retraité, se plaint de ne pas dormir. Sans fatigue aucune. Simplement la nuit il s'ennuie. A se cogner la tête contre les murs. Et sa femme ne supporte plus de l'entendre naviguer dans l'appartement, dès qu'il a aligné ses quatre heures. Un "court dormeur". Phénomène naturel, mais très mal vécu.
Michel, lui non plus n'en peut plus. Dès qu'il a un moment de bonheur, une émotion forte, il risque de s'effondrer, raide endormi. Narcoleptique, comme une branche entière de sa famille.
Lui fait partie de la famille des hypersomniaques, qui s'endorment partout, et souvent au volant, causant peut-être davantage d'accidents de la route que les chauffards imbibés d'alcool. "4 à 5 % de la population sont gênes par des somnolences anormales pendant la journée, et le drame, c'est que la plupart n'en ont pas conscience", laisse tomber le Pr Michel Billiard, responsable de l'unité des troubles du sommeil de Montpellier.
A interroger les médecins, on finit par se demander si le sommeil, le vrai, celui du bon gros bébé dans ses draps frais, existe ailleurs que dans notre imaginaire.
Révolution. Depuis quelques années, mal vivre ses nuits est enfin considéré comme une maladie. Fini le temps du pilonnage des tranchées de l'insomnie au calibre Temesta (même si 8 % de la population française dévore régulièrement des hypnotiques). Aujourd'hui, on passe le mauvais dormeur au peigne fin, on traque ses réactions, on scrute ses moindres frémissements, on échafaude des cures, des remèdes adaptés à ses errances.
"La médecine du sommeil est vraiment apparue ces dix dernières années, et la classification internationale recense aujourd'hui plus de cinquante variétés de troubles du sommeil", souligne le Pr William Dement, l'un des "pères" de la discipline, et responsable de l'équipe de recherche sur le sommeil de l'Université de Stanford, Californie.
Les solitaires qui avalaient leurs cachets dans le bleu de la nuit, s'en remettant vers trois heures du matin aux hasards de l'armoire à pharmacie familiale, on trouvé à qui parler de ce cerveau qui ne veut pas s'allonger. Par cohortes, ils viennent se faire poser des électrodes sur le front, et affronter, dans un mano a mano médicalement surveillé, une nuit, une vraie nuit au "bunker" des dormeurs dans l'un de ces centres du sommeil qui se sont multipliés dans les grands hôpitaux.
On y traque de diverses manières les accrocs aux voiles de Morphée. Parfois on retarde le sommeil, on décale les rythmes en vaillant le patient plus tôt ou plus tard, on mesure les rythmes propres du corps (biorythmes hormonaux) et les mécanismes qui le calent sur l'alternance solaires des jours et des nuits (circadien). Pour voir comment l'organisme répond. Et diagnostiquer, enfin...
Bien des zones incertaines demeurent. Mais même si l'on ne sait toujours pas comment survient vraiment vraiment le sommeil, qui en est l'acteur essentiel, parmi les cascades de substances neuro-médiatrices et les hormones qui baignent le cerveau, on sait désormais repérer les grandes ornières. La meilleure arme à la recherche du somme perdu, c'est désormais de savoir localiser la brèche, la vraie, par où le sable des nuits s'écoule.
"Il faut se méfier de toutes les apparences, dans le sommeil. L'un des meilleurs exemples, c'est que de nombreuses plaintes d'insomnie ne sont pas fondées physiologiquement", explique le Pr Jacques Touchon, de l'unité des troubles du sommeil, à Montpellier. Des insomniaques qui dorment, et parfois plus de six ou sept heures, mais qui ont l'impression de ne pas fermer l'oeil ! Et qui en souffrent (perception erronée du sommeil). Un simple enregistrement en laboratoire du sommeil (polygraphe) permettra de démontrer l'absence de vrai problème. Reste à comprendre pourquoi Hypnos a puni ceux-là, en leur dérobant le moelleux plaisir de toucher leur sommeil...
"Les courbes de mesure de sommeil ne livrent pas tous les renseignement, loin de là. Au départ, il faut considérer que l'insomnie est un trouble et le situer dans son contexte, insiste le Pr Jean-Pierre Olié, à l'Hôpital Sainte Anne de Paris. Si l'on se réveille trop souvent la nuit, c'est peut-être un signe d'une anxiété qui s'installe, mais cela peut être aussi lié à un trouble de la prostate. L'automédication, dans tous les cas, est à proscrire, et aucun médicament hypnogène ne doit être pris plus de deux ou trois semaines... Pour ma part, je conseille de consulter, pour vérifier que l'insomnie n'est pas le symptôme d'autre chose, comme d'un état dépressif"
L'intérêt du bilan du sommeil, avec ses courbes de mesure de l'activité du cerveau, et ses différents tests, comme la réaction à une privation de sommeil, n'est plus à démontrer. Odile Benoit, directeur de recherche au CNRS (Pitié-Salpétrière), rapporte ainsi que de telles investigations menées au laboratoire ou à domicile chez les insomniaques modifient dans près de 50 % des cas le diagnostic porté par le spécialiste. D'autant plus que le mal du non-sommeil enfonce souvent ses racines dans des causes qui s'enchevètrent.
Quand faut-il procéder à de tels enregistrements de son sommeil ? Dans tous les cas où l'insomnie devient un handicap, et après plus de quatre semaines de nuits blanches soudaines chez un sujet jeune. En cas d'apnées du sommeil, également.
Mais sait-on au moins ce qu'est l'insomnie ?
Pas davantage que l'on ne connait le sommeil. Si les renseignement sont nombreux, on ignore encore la logique fine de cette cascade d'évènements biologiques.
Et ce n'est pas le moindre des paradoxes. Près de 40 % de la population se plain de mal dormir, ponctuellement ou au long cours, et les travaux de recherche sur le sommeil sont limités à quelques rares équipes, aux budgets étriqués...
L'une des facettes les plus répandues de l'échec au sommeil est l'anxiété. Chez quelqu'un qui a toujours connu des nuits de délices, brusquement le sommeil ne vient pas, ou mal, car on se trouve dans un état de tension qui ne permet pas à la "porte du sommeil" de s'ouvrir. Des soucis, des préoccupations brutales ont fragilisé le système veille-sommeil.
Le stress, ce mécanisme de défense dont l'effet est de mobiliser l'activité de nos neurones durant le jour (pour mieux lutter), s'est trop pesamment installé, et demeure présent la nuit. Cette "tension" dégrade plus ou moins le sommeil, avec des micro-réveils, et des difficultés à s'endormir. De plus en plus facilement avec l'âge, le cercle vicieux apparait. On doit lutter pour s'endormir, tenter de penser à autre chose. On n'y parvient pas. Plus on cherche le sommeil, moins on le trouve. La fatigue augmente, le stress aussi.
Lorsque la cause du stress s'efface, deux situations peuvent se produire. Bon nombre de dormeur vont se réconcilier avec Morphée, tandis que d'autres garderont de cette expérience une "cicatrice", une trace qui va fragiliser leur sommeil pour des années. Ce "mauvais sommeil" devient une préoccupation, alors que sa cause a disparue. C'est l'insomnie psychopathologique.
"Ceux-là s'endorment au cinéma, devant leur télévision dans leur voiture, ou dans notre laboratoire de sommeil, lors des tests... mais dès qu'ils retrouvent leur brosse à dents, le soir, la terreur de ne pas dormir les envahit, et ils ne dorment pas, ou peu quand ils le souhaitent" précise le Pr Billiard.
Est-il possible de lutter contre l'insomnie due au stress ?
"Ceux qui s'enfoncent dans une lutte avec cette tension mettent en place des associations qui elles aussi, contribuent à empêcher le sommeil. C'est la "peur" de ne pas dormir, elle-même génératrice de stress, donc de non-sommeil, mais aussi de des comportements, qui ne sont pas les plus adéquats", poursuit M. Besset.
Si combattre c'est connaître ses alliés et ses ennemis, il faut donc dresser l'état du champ de bataille, dans son intimité.
A liquider : les habitudes qui consistent à faire du sport le soir, à lire au lit, à y travailler, à regarder la télévision ou à y souper. A proscrire également les écarts horaires. Il faut rechercher l'heure favorable, celle où l'on baille et entamer un cérémonial scrupuleux, un rituel de maniaque. Déplier son pyjama, se brosser les dents, ne pas faire le planning de la journée suivante sur sa table de chevet, mais boire un petit verre d'eau juste avant de poser sa tête sur le drap bien frais. Eteindre, et fermer les yeux...
Mais le sommeil, c'est aussi l'éveil. Comment ne pas évoquer les souffrances de tous ceux qui s'effondrent à la moindre émotion (narcolepsie), ou qui malgré des nuits de 12 heures, continuent à somnoler toute la journée, car leur sommeil ne repose pas leur cerveau ?
"S'il y a quelque chose à crier sur les toits, c'est qu'il n'y a pas de règle. Beaucoup de nos patients pensent qu'il sont insomniaques parce qu'ils ne dorment pas les fameuses huit heures dont on parlait il y a quelques années. C'est une hérésie. 5 à 6 heures de sommeil seront suffisantes pour beaucoup de personnes. Et s'ils essaient de dormir plus, ils vont se fatiguer pour rien", estime Alain Besset, chercheur à l'INSERM de Montpellier (unité des troubles du sommeil). Par contre, d'autres sujets seront des "gros dormeurs". En dessous des dix heures, point de salut.
La substance qui empêche de dormir, le Modafinil, existe déjà. Elle sera commercialisée dans les mois à venir, mais sa prescription sera rigoureusement limitée à des pathologies comme la narcolepsie.
En attendant la découverte de la substance qui fera dormir, celle que l'on avalera pour remettre au pas la mécanique de son cerveau nocturne, des tests on lieu avec certaines des hormones qui jouent un rôle dans l'apparition du sommeil.
On a d'abord cru à la sérotonine, mais aujourd'hui, c'est la mélatonine qui tient la corde. Cette hormone fabriquée par l'hypophyse, à la base du cerveau, ne s'est pas avérée efficace à doses massives. Mais en l'utilisant en très faibles quantités le Pr Richard Wurtman, du MIT de Boston a obtenu des résultats.
Il y a loin de la coupe aux lèvres, et nombre de tests seront nécessaires avant de prouver qu'il s'agit là d'une potentielle pilule du sommeil.
Alors pour l'heure, les chercheurs demandent à leurs cobayes de dormir, de dormir, dans toutes les situations.
Comme Thomas Wehr, du NIMH, près de Washington, qui a interdit les lampes à un groupe de volontaires. Résultat, en dormant de vraies nuits hivernales de 14 heures, les volontaires se sont ménagés des grandes plages d'état "méditatif", entourées de plage de sommeil.
Un type de comportement bien connu chez les animaux., avec une amplification des courbes habituelles du sommeil, et notamment de sécrétion d'hormones comme la mélatonine.
Mais si les longues nuits d'hiver sont plus propices à un sommeil réparateur, une sorte d'hibernation, une telle pratique est-elle encore compatible avec une activité dans notre bulle socio-professionnelle ?
La réponse est au chevet de chacun.
Mais si d'aventure vous disposez de quelques longues nuits à savourer cet hiver, ne vous en privez pas. Cela devrait vous aider à retrouver le plaisir de dormir.
Un rêve ?



Enca 1 Les formes d'insomnie
Difficulté d'endormissement.
Bien connue du sujet âgé ou super-excité. On par battu en se couchant : "je ne dormirai pas, je hais ces nuits inutiles, il faut absolument que je sois en forme demain pour mon rendez-vous". Acharnement, irritation ne font que diminuer les chances de trouver la porte, de se laisser aller aux flots tièdes d'Hypnos.
Finalement épuisé l'insomniaque s'endort (parfois au petit matin) sans en avoir vraiment conscience. Il se réveille avec l'impression d'avoir peu et mal dormi, ne parvient pas à prolonger sa nuit.
Dans ce cas là, on a toutes les chances d'écorner son sommeil lent et profond, celui que l'on considère souvent comme le plus réparateur, et qui se produit surtout dans la première moitié de la nuit ou dans l'après-midi (sieste)

Eveils brefs et nombreux.
C'est également un sommeil anxieux, mais l'endormissement est plus facile. Mais la structure du sommeil est telle que des facteurs extérieurs (bruit, température, les rêves ou une légère envie de se soulager) habituellement sans effet suffisent à faire émerger le dormeur.
La cause grave et physiologique peut également être une apnée du sommeil, qui provoque un micro-réveil réflexe à la suite d'un arrêt respiratoire.


Réveil anticipé.
On s'endort bien et vite, l'esprit en paix, et puis à la faveur du sommeil, des pensées remontent. Une fois une certaine dose de repos atteinte, le cerveau repasse en veille.
Ce type de difficulté peut facilement être confondu avec le sommeil court ou décalé en première partie de nuit.


Enca 2 Combien dormir ?
Nous ne sommes en général capables ni des siestes éclair de Napoléon, ni de celles de Churchill, mais "nous pouvons dormir moins", estime le Pr Michel Billiard, directeur de l'unité des troubles du sommeil du Centre médical Gui de Chauliac (Montpellier). A une condition : respecter une dose de 5 heures par nuit environ.
Exit donc les huit heures recommandées il y a quelques années. On peut réduire cette quantité. Mais attention aux signaux d'alerte. Grignoter le "noyau dur" de son sommeil, c'est tirer des chèques sans provision. Il faudra rembourser, un peu de temps à autre (le week-end par exemple), ou brutalement, lorsque l'on craquera.
En fait, c'est à chacun de trouver son rythme, en observant ses capacités, ses performances, son état d'esprit.
Aux yeux des chercheurs, ce qui compte aujourd'hui, c'est de préserver une bonne qualité de structure du sommeil, avec un équilibre des différents types de sommeil.
Certains, fréquemment les sujets âgés, sont en avance de phase. S'endorment tôt, vers 21h00, et se réveillent 3h00 du matin, frais et dispos; Le syndrome de retard de phase sévit surtout chez l'adolescent et le jeune adulte : impossibilité de s'endormir avant deux heures du matin, puis sommeil de bonne qualité.

Enca 3 A quoi sert le sommeil ?
A se reposer, dit la rumeur publique. Mais la fatigue est-elle une cause ou une conséquence du cycle veille-sommeil ? Autrement dit, la fatigue est-elle produite par un besoins de se reposer ou pour préparer un autre état de fonctionnement du cerveau ?
Le sommeil est de plus en plus considéré par les spécialistes comme un phénomène en soi, et pas seulement comme un prix à payer pour faire tourner la machine en état de veille.
Le cerveau dormirait, car il a autre chose à faire, pendant un certain nombre d'heures...


Peut-on dormir moins
combien de temps faut-il dormir ?

Comment ne pas rester rêveur devant les performances de Thomas Edison qui dormait deux heures par jour, pas forcément la nuit, ou celles de Napoléon, Victor Hugo, Churchill, Margaret Tatcher, Yves Morousi ou Pavarotti, qui dorment cinq heures !
La prouesse est-elle accessible au commun des mortels ? Faut-il avoir une volonté de fer dans un sommeil de velours pour rester juste ce qu'il faut dans les bras de Morphée ? Et l'abandonner au petit matin, frais et dispos, sans la moindre gêne, la plus petite altération de la mémoire ou de la vigilance, ni même de l'humeur ? A ces questions essentielles, la réponse est OUI. Nous pouvons confirmait le professeur Michel Billiard de l'Université de Montpellier lors d'un symposium organisé l'hiver dernier sur cette préçieuse fonction . A une condition , une seule : respecter la dose de sommeil obligatoire, irréductible, celle sur laquelle on ne peut rien grapiller qui est de 5 heures. Tout le reste de sommeil engrangé, c'est un peu notre danseuse. Notre cinéma de la nuit, bref du facultatif. Pour parvenir à cette conclusion les scientifiques se sont penchés sur des milliers d'hypnogrammes, c'est à dire d'enrégistrements du sommeil, pratiqués sur des volontaires bardés d'électrodes. On sait que pour chacun de nous, la nuit est la sucession de 4 ou 5 cycles (voire plus) de 90 minutes environ, scindés en V phases, qui se suivent avec la régularité d'un métronome, commencent par l'endormissement et le sommeil léger pour aboutir au sommeil paradoxal, celui des rêves. Voilà pour les données fondamentales. Au fur et à mesure que la nuit avance, le sommeil profond diminue (stade III et IV), tandis que le sommeil paradoxal (stade V) augmente. On récupère physiquement au début de sa nuit, on rêve et on maintient son équilibre psychique ensuite. Des expériences conduites sur des personnes en privation de sommeil deux ou trois jours durant ont montré que tout se passait sans inconvénient majeurs ni dommages pour la santé, à condition de récuper les nuits suivantes. Mais les "insomniaques" de force placés dans un environnement stimulant ( musée, cinéma ou jardin botanique) récupéraient par la suite un plus grande quantité de stade IV que ceux restés au laboratoire pour les besoins de l'expérience. Conclusion : mieux vaut passer une nuit blanche en boîte de nuit que penché sur des dossiers.
Les études ont aussi montré que selon que l'on était un "petit", un "moyen" ou un "grand" dormeur, on récupérait différemment la nuit suivante . Les petits et moyens allongent de 25 à 33% leur temps de sommeil habituel, tandis que les "accros de l'édredon" le font de 5% seulement. La récupération de sommeil lent profond étant la même pour tous, à savoir 40%, la différence réside dans le sommeil léger. Ce stade est moins récupéré par les longs dormeurs que par les autres. Comme si, ce temps de sommeil était du luxe, un plaisir en plus.
Peut-on , puisque tout semble théoriquement possible, imaginer de réduire "intelligemment" son temps de sommeil ? En évitant ainsi les coupures franches au hasard, les réveils flagadas et les matins mous. La recette existe semble-t-il. Elle a été préconisée par Pierre Fluchère, un ingénieur de l'Ecole centrale de Paris, fondateur du Club du sommeil et du rêve , auteur de nombreux best seller sur la question, devenu avec le temps spécialiste "autodidacte" de cette fonction vitale. Pour écourter sa nuit en beauté une seule chose à faire préconise notre homme : s'éveiller à la fin d'un cycle, lorsque se présente naturellement le "choix" de continuer à dormir ou de s'éveiller ? Cela sous-tend évidemment de calculer préçisément le temps d'un cycle puis d'une nuit moyenne et de soustraire un ou deux cycles à sa nuit, compte tenu de l'heure à laquelle on doit se réveiller. Pour cela, il faut auparavant s'observer attentivement. Repérer le soir, les passages du "train" du sommeil, qui tous les soirs passent à heure fixe pour chacun. Identifier les messages envoyés par le cerveau ( baillements, paupières lourdes, vue brouillée, envie de s'asseoir ou de s'allonger, dérive mentale, tout d'un coup, on n'a plus le désir de parler ou d'écouter. On "décroche" ). Ces messages sont caractéristiques d'une fin de cycle. Il faut donc en noter l'heure et renouveler l'opération. Car la durée d'un cycle s'inscrit entre deux "trains consécutifs". Selon chacun de nous, elle est comprise entre 1 h 30 et 2 h 10. Seulement voilà, au Laboratoire du sommeil de l'hôpital de la Salpêtrière, dans l'une des plus prestigieuses équipes de recherche travaillant sur la question, ni Fluchaire ni ses grimoires ne sont connus. Calculer ses cycles ? Une méthode simple ? Diantre pourquoi faire ! Pour réduire son sommeil, il suffit disent les scientifiques, les vrais, de couper au hasard, en prenant simplement garde de respecter la sacro-sainte règle des 5 heures de sommeil, pas moins. Alors une solution ? Tâtonner, essayer les deux méthodes et voir où basculent les réveils triomphants …













Dormir 8 heures ?


"Le meilleur sommeil est avant minuit et on doit dormir huit heures par nuit, deux idées reçues auxquelles il faut résolument tordre le cou," s'exclame Sylvie Royant-Parola,psychiatre et neurobiologiste. Les fameuses huit heures correspondent à une moyenne qui recouvre des réalités fort disparates.Il règne certainement une terrible injustice entre le petit dormeur (moins de 6h30 )et le gros (plus de 9 heures).Le monde appartient peut-être à ceux de la première catégorie comme Napoléon ou Benjamin Franklin.Mais les pauvres individus qui ont le malheur de se ranger dans la seconde peuvent toujours rétorquer qu'un certain Albert Einstein dormait 12 heures par nuit.Il est vrai que le sommeil le plus récupérateur se situe au début de la nuit.Mais d'une "nuit" propre à chacun:il y a des couche-tôt (environ 1/4 de la population),des couche-tard (un autre quart)et tous les autres qui n'ont pas de tendance particulière.Des rythmes à respecter autant que possible,pour préserver un bon sommeil.


Les catégories de dormeurs varient beaucoup moins qu'on le pense. Le sommeil est à peu près pareil pour tous. La différence c'est notre réaction au sommeil. Certaines personnes dorment plus que la majorité qui, elle, a en tous cas besoin de beaucoup plus de sommeil. Les Américains en particulier (je ne parlerai pas ici du cas extrême des Japonais) souffrent de manque de sommeil chronique. L'état d'esprit "fonceur" du travailleur américain le pousse à se priver de sommeil, à détraquer sa "biological clock". Travailler tard, commencer tôt et dans la journée pas question d'un break. Mais se priver petit à petit de sommeil c'est comme tirer petit à petit l'argent d'un compte en banque ; un jour ou l'autre, on en paye le prix. Le manque de sommeil entraîne invariablement à la dégradation physique et mentale et peut être fatal. L'Europe pendant longtemps a suivi un cycle beaucoup plus naturel (sieste, journée beaucoup moins astreignante, beaucoup moins de pression). Mais le monde moderne a tendance à déteindre sur le reste du globe : l'insomnie est une des maladies du siècle. Beaucoup d'entre nous (je parle d'adultes en activité) ont un cycle de sommeil considérablement réduit. Chez un enfant ou un adolescent hors des pressions du monde du travail, les cycles du sommeil sont généralement parfaits (9 à 10 heures chaque nuit).


Le sommeil joue un rôle primordial dans notre survie. Privé de sommeil pendant 264 heures, soit 11 jours, lors d'une expérience menée par l'Université de Stanford (Californie) et la Navy, Gartner, un jeune Américain de 17 ans eut des hallucinations et des troubles paranoïaques. Ils disparurent après 14 heures de sommeil sans laisser de séquelles. Mais c'est Maureen Weston qui, d'après le Livre Guiness des Records, détient le record mondial de privation de sommeil : 449 heures sans dormir, soit 18 jours et 17 heures à l'occasion d'un marathon de chaises à bascule en 1977. De ses visions, elle ne garde aucune séquelle non plus. Mais elle en parle comme d'une épouvantable expérience : la volonté étant anesthésiée dans ce cas, elle avait l'impression qu'elle n'existait plus.
Dormir est indispensable, mais pourquoi ? Pendant le sommeil, notre cerveau accomplit deux fonctions principales : réparation cellulaire, mémorisation.
Le sommeil a une fonction de "récupération de la fatigue" physique et nerveuse. Des processus de restauration de synthèse (réparation cellulaire) sont mis en jeu pendant chaque période de sommeil. Certains éléments constituants brûlés par l'organisme (catabolisme) sont alors reconstitués (anabolisme). "Le sommeil lent pendant lequel il y a une libération de l'hormone de croissance, semble avoir un rôle de régénération tissulaire, du cerveau à la plante des pieds en passant par le système immunitaire, explique Vincent Bloch, directeur du département de psychophysiologie du C.N.R.S. de Gif-sur-Yvette. Il correspond d'ailleurs aux phases de croissance chez les jeunes. Pendant le sommeil lent, les tissus de notre organisme compensent les pertes de la journée, les blessures cicatrisent mieux et la convalescence est accélérée.
Le sommeil paradoxal lui, réparerait la machine neuronale en accroissant la synthèse des protéines, permettant le bon fonctionnement des neurones du cerveau. Lors de la veille, la fatigue due à l'activité nerveuse épuiserait nos réserves d'hormones. Ces hormones de transmission seraient renouvelées pendant le sommeil paradoxal. "Mais à l'heure actuelle, les physiologistes ne peuvent pas définir cette fonction réparatrice pourtant évidente", ajoute Vincent Bloch.
Pour William C. Dement, directeur du Laboratoire de Stanford, le sommeil débarrasse le système nerveux central des substances ou des toxines qui se créent pendant l'état de veille. "En dormant, écrit-il, certaines de nos pulsions associales s'extériorisent dans le rêve et certains souvenirs gênants sont revécus différemment. Ce mécanisme est la condition de notre équilibre psychologique."
Enfin, le Pr. Jouvet (de Lyon) affirme lui, que la fonction réparatrice du sommeil serait une mise en place et une réactivation régulière des programmes de comportement propres à l'espèce. Presque permanent in utéro, lors de la mise en place de ces programmes génétiques, c'est le sommeil paradoxal qui remettrait régulièrement nos comportements instinctifs à jour à l'âge adulte.
Dans "Le meilleur des mondes" d'Huxley, "l'hypnopédie" permet au héros de mémoriser ce qu'il a choisi pendant son sommeil grâce à un appareil éléctronique ; pour nous, cette méthode est encore impossible. Si le sommeil a une action dans l'activité de mémorisation, c'est d'une façon différente. Lorsque des enfants de 7-8 ans dorment moins de 8 heures par nuit, 61% d'entre eux ont un retard scolaire. Si ces mêmes enfants dormaient 10 heures, 13% seulement d'entre eux auraient un retard scolaire, tandis que 11% seraient en avance.
"Ce qui serait fondamental, dit Vincent Bloch, ça serait de trouver sous quelle forme matérielle est stockée la mémoire. On sait qu'elle ne s'instaure pas d'emblée, mais se construit dès les premiers jours de la vie. Sans le sommeil paradoxal, elle n'existerait pas. On l'appelle paradoxal, explique-t-il, parce que du point de vue des relevés électro-encéphalographiques, il est indistinguable ou presque de l'état de veille. Si on prend des mesures de l'activité du tissu nerveux, à part quelques structures, la majorité des neurones du cerveau sont autant et même plus actifs que pendant la veille.
Ils dépensent plus de sucre, ils ont besoin de plus d'oxygène pour le brûler, et ce qu'on appelle le métabolisme (ou échanges au niveau des cellules) est accru. Le paradoxe du sommeil paradoxal est là : le cerveau a une plus grande activité, et cependant il est plus difficile de réveiller les gens parce qu'il est un sommeil plus profond."
A quoi sert alors cette activité du cerveau qui n'est pas réparatrice, puisque celui-ci ne se repose pas ? Est-elle le reflet d'un traitement accompli sur une information saisie pendant le jour ? "Parce que nous n'enregistrons pas quelque chose immédiatement comme un ordinateur, il nous faut un certain travail cérébral pour consolider une information, la traiter et la comparer avec ce que nous avons déjà mémorisé, dit Vincent Bloch. Ce passage de la mémoire immédiate à la mémoire à long terme prend plusieurs étapes. C'est au cours du sommeil qui suit un apprentissage que le traitement des informations se ferait. Des expériences sur des animaux, puis sur l'homme, ont donné corps à cette idée. Le sommeil paradoxal renforce et structure le souvenir."
Il existe même des corrélations très étroites entre le pourcentage d'augmentation du temps d'apprentissage et celui du taux de mémorisation. Plus on apprend, plus on se remémore, plus on sait. Ca on le savait déjà. Mais des expériences réalisées par l'équipe de Vincent Bloch ont montré ceci : si on stimule un rat pendant son sommeil paradoxal, en pénétrant en quelque sorte son souvenir d'un labyrinthe par exemple, et si on y ajoute un élément correspondant à ce labyrinthe (odeur, son), on renforce et on structure davantage le souvenir que le rat en a. Les indices de rappel jouent le même rôle à l'état d'éveil.
Avec une expérience sur un rat devant appuyer sur un levier pour avoir de l'eau, explique Vincent Bloch, on constate que plus un apprentissage est difficile, plus son sommeil paradoxal est long. On voit aussi en étudiant les transmissions synaptiques pendant le sommeil paradoxal que plus les synapses des neurones du rat sont sollicitées (par des stimulations sensorielles : sons, odeurs, lumières, courants électriques, etc...) plus leurs facteurs de transmission d'informations augmentent. Le souvenir donc, se "grave" plus facilement quand il est réactivé et quand il est suivi d'une période de sommeil." (voir schéma).
En résumé, si une tâche est simple, une privation de sommeil paradoxal n'en modifiera pas beaucoup la mémorisation. Le souvenir d'une liste de mots par exemple n'est pas altéré. Par contre, retenir un texte contenant des anomalies ou des phrases dénuées de signification sera plus difficile sans sommeil paradoxal.

Le sommeil et les rêves
Variables, les images de rêve peuvent être de simples formes géométriques, des paysages très colorés, des visages inconnus ou connus, ou des scénarios rappelant plus ou moins des scènes de la vie quotidienne. Par exemple, le dormeur promène son chien ou rate un avion. Elles ont étudiées par Hervey de Saint-Denys, un des "Grands Rêveurs" ou rêveurs éveillés de l'Occident. D'après lui, à l'endormissement, les premières images (qu'on appelle hypnagogiques) se traduisent parfois par des sensations de chute ou d'élévation (images "somesthésiques"). Si les hallucinations sont auditives, le dormeur entend aussi des bruits de voix, des musiques, des chants d'oiseaux, ne ressent jamais d'angoisse et est le plus souvent "étonné par ce spectacle".
Lorsque le sommeil devient plus profond, ces images disparaissent et nous avons moins d'une chance sur dix de nous en souvenir. Pendant le sommeil lent profond, il existe une activité mentale particulière : "les pensées du sommeil", reliées à ce que nous avons vécu dans la journée , mais sans associations visuelles ou auditives. Enfin, quand 90 minutes après l'endormissement, le dormeur entre dans une phase de sommeil paradoxal, dans 80 à 90 % des cas cette fois, il pourra les raconter.
Mais le sommeil facilite-t-il la créativité et l'esprit d'invention ? Impossible à vérifier. Von Kékulé aurait trouvé en rêve la structure chimique du benzène en voyant six serpents se mordre la queue. Et R.L. Stevenson affirmait avoir trouvé en rêve tous les thèmes de ses romans. De cette double vie, l'une éveillée, l'autre endormie, il écrivit "Dr Jeckyll et Mr Hyde", célèbre exemple de schizophrénie. En 1900, Freud publia "L'interprétation des rêves". Pour l'inventeur de la psychanalyse, les rêves seraient l'expression de nos désirs refoulés. Gardiens du sommeil, ils permettraient d'exprimer ceux-ci sous une forme déguisée. Selon Freud, la sexualité serait la toile de fond du rêve. Il y voit deux contenus : un "manifeste" et un "latent", inconscient pour le rêveur. Ce camouflage sert, toujours selon Freud, à cacher au rêveur lui-même le sens immoral ou associal de son rêve : désirs sexuels, de vengeance ou de mort. Les objets longs (main, serpent, poignard) représenteraient les organes sexuels mâles et les creux (panier, boîte etc...) symboliseraient les organes féminins.
Jung, lui, donne d'autres interprétations des rêves. Contemporain de Freud, mais en désaccord avec sa théorie, ce philosophe suisse pense que les images des rêves sont un rappel des mythes et des légendes et qu'eles sont communes à tout le monde. Il les appelle des archétypes. Pour lui, le rêveur puise ces images dans une réserve universelle qu'il appelle "inconscient collectif". Son rêve possède la construction d'une pièce de théâtre. Il n'est pas "la façade de la nature secrète d'un individu" comme l'affirme Freud, mais l'expression de sa nature propre. C'est aussi l'indication de la direction qu'il prend inconsciemment.
Mais savoir utiliser un rêve demande un entraînement. Dans son livre "La révolution du rêve"*, Pierre Fluchaire affirme qu'il est possible de sélectionner à l'avance le thème de sa vie onirique et de la téléguider. Dans "La créativité onirique", la psychologue américaine Patricia Garfield donne aussi une méthode pour passer du rêve ordinaire au rêve lucide.
Il serait possible d'après elle de composer plus ou moins ses rêves avant de s'endormir et d'y trouver une solution à des problèmes. Cette technique consiste à donner au rêveur une prise sur le déroulement de son rêve. Par exemple, un homme rêve souvent qu'il s'enfonce dans un trou de vase noire et nauséabonde et qu'après s'être débattu pendant un temps qui lui paraît interminable, il se noie. Dans le "rêve lucide" le rêveur ne se débat pas et sort tranquillement de la vase en attrapant une branche d'arbuste qui pousse sur le bord du trou où il trouve une échelle et remonte à la surface. Ou encore, il passe tout simplement à côté de ce trou.
Cette idée du "rêve lucide" a été suggérée par des observations réalisées par des éthnologues chez les Tensiars. Dans cette tribu de Malaisie, on apprend aux enfants à raconter leurs rêves chaque matin et on leur enseigne comment les contrôler et en éliminer les personnages, les situations ou les objets effrayants.
Une théorie nouvelle, le "deal with" : on "traite" en rêvant les événements stressants du jour, à partir de deux hypothèses : la "compensation" et la "maîtrise". La fonction de compensation nous servirait à combler les manques éprouvés durant la journée. C'est le prisonnier qui rêve d'un dîner chez Maxim's, et le P.D.G. qu'il pêche la crevette sur une plage bretonne déserte. La "maîtrise" elle, nous donnerait un beau rôle en rêve dans les situations psychologiques pénibles que nous avons affrontées.
"Sans que cela ait été démontré, il semblerait que les rêves intégreraient les matériaux pénibles au moyen de systèmes de mémorisation ayant dans le passé fourni des solutions satisfaisantes dans des situations analogues", écrit le Dr David Koulack, chercheur de l'Université du Manitoba (Winnipeg - Canada). En fait notre mémoire épongerait nos déboires et nous fournirait les solutions qui nous ont échappé. Si une fois éveillé, on se souvient et on recourt aux solutions suggérées par la mémoire en rêve, nous y sommes plus décontractés, plus libres de penser sans être distraits. On utilise l'invention créative que propose le rêve. Plutôt que la "voie royale de l'inconscient" de Freud, nos rêves seraient ainsi le résultat de nos émotions et de nos intérêts intellectuels du moment. David Koulack ajoute que nous serons peut-être un jour capables de nous coucher avec en tête un "plan de rêve" conçu (designed) pour affronter les problèmes importants de notre vie quotidienne." Il n'est pas interdit de rêver !



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