dimanche 27 janvier 2008

Records à la voile

1991
on tourne plutot autour des 50 noeuds, désormais...

Plus vite que le vent : technologie contre biceps

Tous les printemps, les fous de vitesse sur l'eau aiguisent leurs engins à dompter le vent, résultat de mois passés à solliciter les neurones et à faire chauffer la colle. La déjà classique Semaine de vitesse de Brest, où les voiliers les plus incroyables se retrouvent, précède à peine dans le calendrier les tentatives de records en planche à voile qui se déroulent en ce moment aux Saintes Maries de la Mer. Là, on a carrément creusé en 1988 le premier "canal de vitesse". Avec 1,3 km de long, 25 mètre de large, c'est le stade du vent. A quelques mètres de la grande bleue, travers au Mistral, il voit défiler dans des gerbes d'écume les puristes du "windsail" montés sur des engins minuscules et allégés, des "guns" qui se cabrent à la moindre erreur.

Entre les deux clans, entre voiliers extrèmes et planches allégées, c'est la guerre. A savoir qui profitera le mieux du vent pour aller le plus vite, sur des "runs" (parcours chronométré) de 500 mètres.

Variété extrème de voiliers, les engins à battre les records de vitesse à la voile ont, à première vue, tout du cauchemard technologique. Formes d'araignées fragiles, deux mâts là où les sages voiliers de nos croisières n'en comptent qu'un, des cerf-volants pour mieux les tracter ou encore des poutres-ailes-flotteurs chargés de transformer un navigateur en pilote d'avion sous-marin. Sans oublier les systèmes "palpeurs" de vagues, destinés à repérer les formes de la houle pour pouvoir y adapter en temps réel l'audace d'une incidence, d'une répartition des masses. Ajoutez à cette débauche d'idées et de folies architecturales une bonne dose de fibres exotiques, carbone, kevlar ou epoxy, saupoudrez d'un peu de jargon à base de "foils" (élements sustentateurs), de "flaps" (volets sur aile rigide) et de "cavitation" (perte de contact entre la coque et les filets d'eau qui s'écoulent), mettez le tout sur un plan d'eau venté et si possible protégé de la houle du large, et vous obtiendrez, si Eole le veut, des "chronos".

Et qui sait, le Record. Hélas, le plus souvent, il ne restera, après l'épreuve des vagues, qu'un tas d'alumettes de carbone pliées par le vent, que des débris caressés par les vagues. Et la rage dans la gorge d'un Gaston Lagaffe de la voile qui avait passé toutes ses soirées, tous ses week-end à peaufiner son "plus génial que le vent". Si la plupart des coureurs-innovateurs sont des particuliers, des génies du vent qui misent leurs économies et leurs vacances, il y a aussi quelques projets "sérieux", puissamment sponsorisés comme "Objectif 100" (km/h) de Rhône-Poulenc. Ce qui ne les empèche pas non plus de casser, ou de s'embourber dans les difficultés. Car outre génial et sérieux, il va falloir être très obstiné pour décrocher le gros lot.

La barre est haute, très haute, à 80 km/h, pardon, 42,91 noeuds... C'est la plus grande vitesse atteinte sur l'eau par un engin flottant uniquement propulsé par le vent. En l'occurence il s'agit d'un homme (Pascal Maka), monté sur une planche à voile. Ce chiffre, établi en février 1990 est un véritable pied de nez à l'adresse de l'armade des voiliers expérimentaux. Le plus rapide d'entre eux, la catamaran Crossbow II, a plafonné à 36 noeuds en 1980. Depuis, les planchistes surfent de record en record et près de deux cent d'entre eux sont déjà allés plus vite que le voilier le plus rapide.

Pour toujours ?
"Il parait difficile de faire mieux qu'une planche, qui pousse à l'extrème tous les principes qui font aller très vite sur l'eau" note avec un sourire l'architecte naval Daniel Andrieu. Explication : en tirant la voile vers lui pour équilibrer la force du vent, le véliplanchiste se suspend à la voile. Ce qui présente le double avantage d'allèger la planche, et de faire littéralement décoller l'engin sur une sorte de coussin d'air. On est à la limite du ski nautique et du deltaplane. Un signe qui ne trompe pas : à l'arrèt ces planches très affutées coulent sur place. Elles ne surnagent qu'avec la portance que leur confère la vitesse...

Pourtant, les partisans des voiliers s'obstinent. Et font appel à une débauche de technologie et de moyens finaciers pour tenter de ramener les planches sur la plage.

Lubie de passionnés, folie confidentielle ? Vu de loin, cela ressemble un peu aux premier efforts déployés par les hommes pour quitter le sol. Les fous volants sont devenus flottants...

Les ingénieurs du CRAIN (Centre de Recherche pour l'architecture et l'industrie nautique), un bureau d'étude de la Rochelle spécialisé dans le calcul et la simulation des coques de navires, sont relativement optimistes. A leurs yeux, les voiliers gardent une chance s'ils parviennent à aller plus vite que le vent. Ce dont certains dessins sont théoriquement capables, et que les planches ne savent pratiquement pas faire.

La voie de la revancheest tracée, il suffit de l'explorer. Le problème, c'est qu'en ce domaine il y a loin de la table à dessin, du terminal de conception assistée par ordinateur à la réalité de la mer. Et quand un ordinateur estime qu'une esquisse doit aller à deux fois la vitesse du vent, cest rare que cela se vérifie sur l'eau. Le domaine est complexe, puisqu'à la différence des avions qui se meuvent dans un seul fluide, on est ici confronté à la triple difficulté de parties immergées dans un liquide, d'autres émergées dans un gaz, et d'un comportement quasiment imprévisible se déroulant à l'interface des deux.

Pour progresser dans ce casse-tête, la seule solution est donc d'essayer, et de casser de la fibre de carbone sur les vagues. Echec malheureux pour Objectif 100, le bateau-aile à gros budget de Rhône-Poulenc (on parle de trois millionsde francs). Cette fine coque dotée d'une aile d'avion reposant sur un flotteur n'a jamais dépassé la vitesse de Crosbow II, alors que sur le papier cette très belle idée pouvait pulvériser ces chiffres. Trop audacieux ? Le projet semble aujourd'hui abandonné.
Plus sage, le "Voilier-Haute-Technologie-Charente-Maritime", parrainé par le Ministère de la Recherche, bardé de matériaux ultra-légers (1850 kg pour 21 mètres de long), doté de deux voiles et deux flotteurs garde un potentiel intéressant, malgré sa "casse" de l'hiver dernier. Une autre solution, relativement proche, est explorée par l'Ecole Nationale des Techniques Avancées, sur un autre catamaran financé par la Délégation Générale pour l'Armement. Mais cette fois l'engin est doté de voiles rigides, inspirées des ailes d'avions, et de "foils", de petites dérives inclinées pour s'élever au-dessus des vagues.

Mais la route du record semble encore longue à atteindre. Les lourds et coûteux voiliers conçus par ordinateur persisteront-il? Face à des amoureux de glisse qui vivent les pieds dans l'eau, attendant le coup de vent favorable avec un planche de quelques milliers de francs pour tout équipement, ils semblent des Goliaths technologiques opposés aux Fils du Vent.

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