jeudi 10 janvier 2008

Le Temps 1. Temps international

LE TEMPS
article pour le Figaro Magazine (vers 1991)

1. Entretien avec Bernard Guinot

Les maîtres du temps sont des pères tranquilles
Responsable du Bureau International de l'Heure, Bernard Guinot a été l'horloger du monde pendant plusieurs décennies. C'est lui qui a mis au point le rituel d'échange des données pour le culte mondial du Temps Atomique International. Depuis qu'il a passé le chrono à son successeur, voila quelques semaines, il prend son temps sur les problèmes d'heure et de cosmos.

C'est Paris qui donne le top du temps international ?

Pas vraiment. Pour éviter de se faire taxer d'impérialistes du temps, notre horloge ici, au Pavillon de Breteuil (Sèvres), n'est pas prise en compte dans le système. C'est la moyenne de 200 autres horloges du monde qui fixe l'heure. Le changement, c'est que depuis 1971, ce sont des horloges atomiques qui rythment ce temps international. Mais ce que l'on diffuse en fait aux utilisateurs, par radio (France Inter délivre de tels tops, inaudibles à nos oreilles, mais parfaitement décodés par les horloges), par réseaux informatiques, c'est le Temps Universel Coordonné, qui correspond au TAI corrigé des mouvements de la Terre. Car la vitesse de rotation de la planète varie d'une demi-seconde à deux secondes par an, et le décalage gène certains usagers, comme les navigateurs qui se servent (encore) de sextant pour faire leur point. Un mini-saut temporel que l'on fait le 31 décembre ou le 30 juin.

Comment lire l'heure sur 200 horloges atomiques en même temps à travers le monde ?

La clef de cette comparaison cruciale c'est aujourd'hui le réseau international GPS (Global Positioning System). Ce nuage d'une vingtaine de satellites militaires américains sert au positionnement ultra-précis des objets sur la planète (quelques dizaines de centimètres pour les militaires). Pour atteindre une telle qualité de localisation, les satellites crachent des "tops" avec une précision de quelques milliardièmes de secondes (nanosecondes). Il suffit de les capter, et de lire l'heure sur les horloges atomiques des laboratoires au même signal, à Tokyo, à Boulder (Colorado), à Rio, pour savoir de combien les horloges sont décallées les unes par rapport aux autres. Les une avancent, les autres retardent, avec des variations qui ne dépassent guère quelques nanosecondes par jour ! Les meilleurs à ce petit jeu de l'exactitude étant les Allemands du centre de Braunschweig, dont personne ne sait pourquoi l'horloge est une merveille qui bat en permanence des records de régularité. Toutes ces données sont centralisées à Paris, où l'on calcule le temps moyen, sur lequel les horloges se recalent.
Un très démocratique système qui satisfait tout le monde, à la différence des années 50, où une horloge "mère" donnait quelque part dans le monde le temps de référence. Par contre, par rapport à un temps parfait, le système de "moyenne" de ces horloges, qui est finalement un temps théorique calculé statistiquement, peut dériver d'une microseconde par an sans que personne ne s'en aperçoive. Et pour cause : on ne dispose pas de la Grande Horloge parfaite pour signaler un tel dérapage. Mais en définitive, un millionième de seconde par an, c'est raisonnable. Et puis il y a de fortes chances pour que d'une année à l'autre les variations s'annulent en partie. Alors... Malgré ces défauts, qui devraient diminuer avec le temps, le système est plus simple que celui qui consistait dans les années 70, à promener des horloges atomiques dans les avions, pour aller les comparer à celles des grands laboratoires du temps à travers le monde entier. Chez Air France nous avions carrément notre planchette spéciale, pour fixer l'horloge en promenade sur un siège avec une sangle. Il fallait être deux pour la porter en raison de son poids, mais le plus drôle c'est un jour un CRS qui s'est approché de nous dans un aéroport, pour s'assurer que nous étions armés pour protéger un tel chargement.

Promener des horloges aussi précises... cela vous propulse dans l'espace-temps.

Eh oui, Einstein est passé par là . Le temps n'est pas une constante dans notre univers, il se déforme avec la gravitation et la vitesse et l'indication de l'horloge qui le mesure se modifie quand il y a mouvement...Il faut en tenir compte, calculer la correction au moyen des équations, pour retomber surs ses pieds et non à côté de ses chaussure relativistes.

Le secret de l'horloge atomique, c'est quoi ?

Faudra-t-il aller plus loin ?

Si on avait des horloges encore plus stables, on pourrait améliorer le positionnement par satellite, mais aussi percer quelques mystères de notre monde. Comme détecter les ondes de gravitation qui parcourent l'univers selon les théories actuelles. Pour l'instant invisibles sous le feu des expériences des physiciens, ces vagues du cosmos pourraient être détectées par des horloges très stables, mille fois meilleures que celles dont nous disposons actuellement. Embusquées dans l'espace, à bord de satellites, ces horloges seraient perturbées par l'explosion d'étoiles très lointaines....
On pourrait aussi mieux analyser les pulsars, des astres qui émettent des signaux radio puissants, avec des impulsions très rapides, à la limite actuelle des horloges atomiques.

Si je veux être à l'heure chez moi aujourd'hui ?

Il faut acquérir un récepteur GPS. Les satellites émettent l'heure, il suffit de tenir compte de nos correction par rapport à l'heure TAI. Sinon, chez Hewlett Packard, une horloge à césium se vend aux alentours de 250.000 francs.

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