jeudi 17 janvier 2008

La furia solaire (cycle)

Pour Ca M'intéresse, 1990

Au cœur de notre hiver, le Soleil pique sa crise. Dans quelques semaines, l'astre roi atteindra le comble de sa colère, le sommet de son cycle. Un moment d'humeur plutôt volcanique, qui le pousse tous les onze ans à s'activer de manière spectaculaire, à vomir par spasmes des torrents de matière et d'énergie à des millions de kilomètres dans l'espace. Le « cru 1990 » des cycles solaires promet de faire date : annoncé pour mars, il promet d'être l'un des plus spectaculaires du siècle. Les mages et autres astrologues ont déjà sauté sur l'occasion : ils annoncent aux bonnes âmes des quantités de perturbations amoureuses ou financières. Plus sérieusement, les taches solaires qui se multiplient à la faveur de ces crises ont-elles véritablement des effets sur la Terre et ses habitants ?

Première certitude : en bombardant d'énergie les couches supérieures de l'atmosphère, ces taches provoquent des aurores polaires. Traditionnellement limitées aux régions boréales et australes où la Terre est le moins bien défendue, ces superbes bandes de couleur du ciel nocturne se font alors admirer généreusement jusque sous nos latitudes. Comme en mars dernier, où le phénomène - un serpent vert, jaune, rose, ondulant dans le firmament - signala jusqu'en Floride et aux Antilles que le Soleil entrait en fureur.

Deuxième effet démontré des éruptions solaires : elles brouillent les communications radio dans la gamme des ondes courtes, celles qui utilisent habituellement l'effet "miroir" des hautes couches de l'atmosphère pour atteindre des points très éloignés de la planète. Elles déroutent encore les équipements électroniques sensibles. Au Québec, quelque 9 millions de personnes ont été privées de courant parce que les sécurités magnétiques chargées de détecter les surtensions sur le réseau avaient trop bien joué. Des cas de désorientation de baleines, d'oiseaux migrateurs et autres animaux sensibles au magnétisme ont été parallèlement signalés à travers le monde.

Mais c'est dans l'espace que se produisent les effets les plus gênants. Les cosmonautes soviétiques qui se trouvent à bord de la station orbitale Mir doivent se méfier : l'orbite de cet engin spatial le soumet au risque, en cas d'éruption solaire particulièrement intense, d'une averse de particules très énergétiques qui peuvent s'avérer dangereuses, malgré le blindage. « Des protons énergétiques, comme ceux qui ont accompagné une autre belle éruption, au mois d'octobre, sont redoutables pour l'homme dans l'espace, explique Pierre Lantos, responsable de la prévision de l'activité solaire à l'Observatoire de Paris-Meudon. Ils peuvent avoir des effets dramatiques en dehors des ceintures de protection de la Terre (ceinture de Van Allen) ». A cette occasion, le flux de protons en provenance du Soleil a été multiplié par 10 000. Quant aux dizaines de satellites artificiels placés en orbite basse (moins de 1000 km d'altitude), ils doivent faire face à un « gonflement » de l'atmosphère terrestre sous l'effet de la rage solaire. Un embonpoint aérien qui a pour résultat de freiner par frottement leur ronde et de les faire chuter prématurément. Ce fut le cas de la station orbitale américaine Skylab, qui retomba le 11 juillet 1979. Comble du suspense : parmi les satellites actuellement les plus menacés de s'écraser en raison de ce freinage "solaire" se trouve Solar Max, un engin américain d'observation du Soleil. Dépanné en orbite par des astronautes en 1984, il attend de se consumer en retombant dans l'atmosphère, d'ici à quelques mois. Pour l'heure, Solar Max continue fidèlement de renvoyer vers la Terre des images de l'astre qui va causer sa perte…

Paradoxe : l'actuelle colère du soleil constitue une aubaine pour les astronomes, qui la guettent avec une panoplie inégalée de satellites et d'instruments au sol. Leur objectif : mieux comprendre comment fonctionne cette inaccessible étoile, impossible à explorer en raison des 15 millions de degrés qui règnent dans son cœur. A première vue, les signes de la rage solaire sont perceptibles par tout un chacun : il suffit de lever les yeux. Mais attention : vos yeux sont en danger ! Les lunettes de soleil sont tout à fait insuffisantes. Avec la protection d'un filtre très opaque (par exemple une pellicule photo noire), vous pourrez distinguer des zones sombres à la surface du Soleil. Ce sont les fameuses taches. Dix fois plus nombreuses à cette époque du cycle solaire (10 000 par an contre 1 000 au minimum solaire), elles peuvent couvrir jusqu'à 2 % de la surface du disque. Et certaines d'entre elles sont suffisamment étendues pour contenir 70 fois la Terre. Des « points noirs » tellement visibles que les Chinois de l'époque Han les repéraient déjà il y a 2 000 ans. Ces zones plus froides (4 000 degrés contre 6 000 dans le « jaune ») ont permis au siècle dernier à l'Allemand Samuel Heinrich Schwabe de repérer des cycles de recrudescence des taches d'environ dix ans.

Ces éruptions accompagnent la formation de « centres actifs », les régions du Soleil où les perturbations des champs magnétiques solaires viennent « crever » la photosphère et créer de gigantesques pontages entre des pôles opposés. Un mécanisme de régulation, de remise à l'équilibre de forces internes, qui permet la libération vers l'espace de milliards de tonnes de matière et de quantités monstrueuses d'énergie. Pour se mettre dans l'ambiance, il faut imaginer, comme John Harvey, de l'Observatoire américain de Kitt Peak, que le Soleil est une gigantesque explosion d'énergie variable, de plasma (état surchauffé et libre de la matière) et de gaz, qui résonne en permanence comme une crécelle, sous l'effet des torrents d'énergie qui l'agitent. L'astre émet en fait un vacarme infernal, un grondement permanent qui ne nous parvient pas pour la simple raison qu'il n'y a pas d'air dans l'espace pour le transmettre.
Mais ces ondes de choc existent bel et bien et agitent l'étoile comme autant de séismes. Des oscillations qui animent le Soleil comme un gros cœur qui bat, se contracte et se dilate sur plusieurs rythmes. Le plus rapide a une période de deux minutes et demie environ, tandis que d'autres durent plusieurs heures, pendant lesquelles le diamètre varie de quelques kilomètres. L'héliosismographie (étude des « tremblements de soleil »), est d'ailleurs une des méthodes permettant actuellement des progrès importants dans la compréhension de ce qui se passe au cœur de la fournaise.

D'autres astronomes se passionnent pour les cycles. Outre le bon vieux rythme de 11 ans, ils en ont trouvé d'autres, plus courts, de 27 ou 1 000 jours, mais aussi plus longs, avec de périodes de 80 et de 300 à 400 ans. Une polémique se développe notamment sur le mini-âge glaciaire de Maunder. Cet astronome britannique avait trouvé une corrélation entre une période de froid intense entre 1645 et 1715 et une activité solaire remarquablement faible, notée par les astronomes de l'époque. Avec un diamètre plus gros de 2 000 km et plus pâle, le Soleil n'aurait alors pratiquement pas connu de taches, ce qui démontrerait un grand calme, comme on en avait pas vu depuis des milliers d'années.

L'astronome Elisabeth Ribes, de l'Observatoire de Paris-Meudon, travaille pour sa part à la mise au point d'une nouvelle théorie de « rouleaux » convectifs horizontaux à la surface du Soleil. Ceux-ci ont été révélés sur des clichés analysés avec des systèmes de reconnaissance de forme. Découverts à la place de structures verticales en forme de « bananes » que l'on recherchait, ces rouleaux expliqueraient la migration des taches solaires des pôles du Soleil vers son équateur. Cette forme de convection pourrait encore fournir une justification au cycle de 11 ans, ainsi qu'à celui de 1 000 jours repéré à l'Observatoire de Nice par Francis Laclare. Une petite oscillation du diamètre du Soleil, plus importante dans les creux du cycle de 11 ans que lors de ses sommets.

Reste à répondre à la question qui oppose aujourd'hui de nombreux scientifiques : les différents cycles d'activité solaire, ont-ils une influence sur le climat de la Terre ? Pour l'instant, personne ne peut l'affirmer. Mais certaines concordances entre les cycles observés par les astronomes et ce que l'on peut lire dans les anneaux de croissance des arbres ou dans les sédiments bien conservés jette le trouble. Chercheur en géologie à l'université d'Adélaïde (Australie), George Williams pense avoir mis le doigt sur un sérieux indice : un gisement sédimentaire vieux de 600 millions d'années, en Australie, montre des traces d'un cycle de précipitations de 11 ans, extrêmement régulier. « Ce n'est pas une preuve », estime cependant le climatologue Barrie Pittock, de l'Office de recherche du Commonwealth à Melbourne, « pas plus que les autres arguments, car les données ne sont pas assez précises. » L'étude des arbres ou des gisements profonds des mines fournira probablement des quantités d'autres indices, mais pas de réponse suffisamment claire.

Autre élément : Karin Labitzke, de l'université de Berlin, a trouvé une étonnante relation statistique entre les vents à 20 km d'altitude dans la région équatoriale de la Terre et les effets du cycle solaire de 11 ans. Pendant les périodes de Soleil actif, comme actuellement, si les vents équatoriaux viennent de l'Est, le climat est frais aux pôles et plutôt chaud à nos latitudes. En période de Soleil inactif, ce serait le contraire. L'équipe d'Elisabeth Ribes, à l'Observatoire de Meudon, a établi pour sa part que le sous-cycle solaire de 1 000 jours ferait venir en phase croissante les vents de l'ouest et en décroissance de l'est. Des hypothèses qui demandent toutefois à être confirmées.
Mais surtout, les scientifiques cherchent le mécanisme, le levier qui pourrait permettre à des petites variations solaires de produire des effets de masse sur l'atmosphère. La réponse se trouve peut-être dans la haute atmosphère, au-dessus de 20 ou 30 km d'altitude. L'air y est rare, mais les mécanismes chimiques y sont très sensibles, par exemple, à l'éclairage du Soleil. Marie-Lise Chanin, directeur de recherches au Service d'aéronomie du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) utilise pour observer ce monde fluctuant une sorte de "radar-laser", le Lidar. Il lui permet notamment d'observer jusqu'à 100 km d'altitude, 24 h sur 24, les variations de température de notre atmosphère selon les cycles d'activité du Soleil. L'offensive scientifique sera aussi menée durant les 15 prochaines années par une armada de sondes spatiales américaines et européennes. La mission Ulysse de l'ESA (Agence spatiale européenne) part en 1992 pour survoler les pôles du Soleil. Vers la fin de la décennie, Cluster, projet commun de la NASA et de l'ESA, qui sémera une ribambelle de sondes dans l'espace et mesurera en différents points les interactions entre l'astre du jour et notre planète.

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