mercredi 30 janvier 2008

Les abeilles savantes

juin 95

Dans un pré du Brandebourg allemand, des abeilles filent et besognent en vrombrissant. Vieil étonnement humain devant ce minuscule organisé : mais comment diable font-elles ? Naviguer, butiner, communiquer, s'organiser... Mieux, ce jour-là Lars Chittka et Karl Geiger, de l'Institut de neurobiologie de l'Université de Berlin (1) tentent de savoir si Apis mellifera sait compter des repères jalonnant son parcours de butineuse. Et pour cela, le pré devient le lieu d'un étrange ballet. A chaque fois que leur trentaine d'ouvrières est rendue à destination, sur une cible sucrée, les chercheurs se précipitent, et les abeilles sont capturées. On les ramène ainsi à la ruche, dont la porte se referme. Une étrange agitation humaine s'effectue alors, à l'insu des faiseuses de miel. On modifie l'écartement de grandes toiles jaunes, on en ajoute une ou deux, on place une autre coupelle sucrée ailleurs, on vérifie méticuleusement les écartements des repères à la visée, avec un théodolite d'arpenteur. Et puis quelques gouttes de sueur plus tard, on relâche les abeilles, en scrutant de près où elles vont aller s'empifrer de glucose.

Ce petit manège est donc bien une expérience. Dont l'ambition est d'éclaircir une nouvelle énigme : les abeilles savent-elles compter ?
Pour répondre, les moisonneuses de pollen doivent se débrouiller dans ce pré de trois cent mètres, ponctué de point de repères très visibles et identiques, des toiles de tente jaune de 3,46 mètres de haut. Hélas pour elles, ces repères ont un penchant pour le mouvement. .
Le piège est simple : les abeilles ont été habituées à se régaler sur une coupelle située entre la troisième et la quatrième tente. Si l'on augmente sans crier gare le nombre de tentes entre la ruche et la friandise, combien d'abeilles vont se tromper et freiner à la troisième guitoune ? Et combien, malgré tout, arriveront à bonne distance et trouveront leur délice, désormais situé à la quatrième ou la cinquième tente ?
Les résultats sont clairs : un tiers des abeilles se trompe lorsqu'on ajoute des tentes. Elles aterrissent après la troisième, comme lors de l'apprentissage. . Comme si elles accordaient au WWcomptageBB du nombre de tentes le soin de leur indiquer leur distance. Par contre d'autres ne se trompent pas, poursuivent leur chemin et atteignent la coupelle bien garnie, et évidemment toujours placée à une distance comparable de la ruche. Ce qui fait dire aux humains observateurs qu'elles doivent utiliser d'autres compétences pour leur navigation que le simple repérage des tentes.

Il y aurait donc des abeilles compteuses, et d'autres, qui naviguent à l'estime, tenant compte de leur effort, de la vitesse et la direction du vent pour savoir ou elles en sont.

Plus vraisemblablement, estiment les chercheurs, il s'agit d'une combinaison des deux choses, certaines se basant davantage sur les repères spatiaux et les autres sur leur sens de la navigation...
Mais alors, peut-on en déduire que les abeilles savent compter ?

Probablement pas, avancent prudemment les chercheurs, qui pensent plutôt à une forme de mémorisation spatiale. Les abeilles savent en effet enregistrer une série d'éléments visuels qu'elles survolent. Une séquence mémoire qui leur permettra d'être en mesure de retrouver des fleurs intéressantes, dans un massif par exemple. Hors si les abeilles savent construire des "films" de souvenirs du type survoler T puis B puis C, elle savent aussi probablement construire des scénarios du genre survoler A puis encore A puis encore A. Ceci serait alors une forme très primitive de comptage, du "protocomptage", où A,A,A, ne ferait pas A, ni 2A+A. Simplement une séquence "familière" A . A . A . , que l'on sait différencier de A , A ou de A , A , A , A. Ce qui, avouons-le, est assez différent de nos capacités cognitives de calcul, qui comportent une part impressionnante de définition de sens (qu'est-ce qu'un nombre comme 3 quand il ne désigne ni litres ni kilomètres ni pommes) et de nombreuses règles. Mais cette vision de l'espace par les abeilles constitue peut-être l'une des racines du comptage dans le monde vivant.





(1) Publié dans Animal Behaviour, 49, 1995


La navigation des abeilles /ENCADRE
Pour la navigation proprement dite (une abeille parcourt, en ramenant les valeurs à l'échelle, plus de 100.000 km dans sa vie) elles utilisent la hauteur du soleil, extrapolant même la vitesse apparente de l'astre dans le ciel. A tel point que certaines abeilles nocturnes utilisent la position théorique du soleil sous l'horizon, pour leur repérage et danses de localisation des fleurs. La polarisation de la lumière, également, leur donne une indication sur la position du soleil, quand le ciel est couvert.
Elles se servent également du champ magnétique terrestre. Lorsque l'on modifie artificiellement sa direction au sein de la ruche, les abeilles changent la direction des rayons qu'elles bâtissent.
Outre l'étonnante danse, qui leur permet d'indiquer à leurs congénères la direction d'une zone de butinage par rapport au soleil, ainsi que sa distance (frétillements), les abeilles disposent donc d'un système de navigation particulièrement sophistiqué, dont toutes les facultés n'ont pas encore été explorées.
Surtout , une idée qui semblait il y a encore quelques années une hérésie s'est imposée : elles disposent d'une AAcarte mentaleBB des environs de leur ruche, avec des repères familiers, ce qui leur permet de s'orienter très facilement en terrain connu, et de retrouver leur ruche, même si elles ont été transportées dans une boîte noire en limite de leur territoire.
Elles notent ainsi la position de repères très familiers, comme de rangées d'arbres, par rapport au soleil, aux différentes heures de la journée. Ce qui leur permet de substituer ces repères remarquables au soleil lorsque le ciel est trop couvert.
En général, sur terrain connu, les abeilles s'orientent grâce à de tels repères (d'où la capacité à "compter), mais communiquent avec leurs soeurs, lors des danses, en utilisant la référence commune du soleil. Ainsi chaque abeille peut se fabriquer ses propres repères géographiques, en fonction de son expérience du lieu et de ses repères préférés.

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