samedi 19 janvier 2008

Supraconductivité : les hautes températures

C'était la folie, en 1990. Bien retombé depuis, du moin dans les médias... Pour les chercheurs, ce fut une révolution.

Supraconduction : les chercheurs font bouillir la marmite

Verra-t-on demain des trains voler au-dessus des rails, des bateaux naviguer sans hélice, en poussant l'eau, tout cela à l'aide de puissants champs magnétiques ? Le rêve devient un peu plus envisageable aujourd'hui, grâce à une découverte française, un nouveau matériau supraconducteur, c'est à dire qui laisse passer l'électricité sans la moindre résistance.
Ce qui signifie que le matériau ne chauffe pas, lorsque le courant passe, mais aussi que rien, de cette énergie, n'est perdu; contrairement aux 10 à 20 % de pertes des circuits électriques actuels.

Ceci permettrait de stocker plus facilement l'électricité dans des batteries plus puissantes, de réduire encore la taille des circuits électroniques, et des ordinateurs.

De tels matériaux, on en connait déjà. Mais il faut les noyer dans de l'azote liquide, à moins 250 degrés et au-delà, pour que cela fonctionne.

Le nouveau produit, lui, devient supraconducteur à -23 degrés Celsius. Les chercheurs de l'Ecole de Chimie et de Physique de la Ville de Paris viennent de battre les précédents records d'une centaine de degrés, (le précédent record était de moins 123 degrés C).

Le travail de Michel Lagües et Julien Bok, à l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la Ville de Paris est une jolie démonstration de persévérance et et de coopération entre plusieurs groupes"Le pari le plus fou a été de réunir le matériel, d'un valeur théorique de plus de six millions de francs, nécessaire à la fabrication de nos échantillons, mais aussi de nous obstiner dans une direction où beaucoup de groupes, en France comme à l'étranger, ont abandonné au fil des mois, au vu des difficultés", nous explique Michel Lagües.

Pour le matériel il aura fallut négocier avec la fabricant, Rieber, en faisant miroiter la perspective d'un marché mondial en cas de percée. Et puis bricoler, pour adapter l'engin. Au début, rien ne marchait. Une traversée du désert qui aura duré plus de deux ans, avec des résultats décevants. Pourtant, le principe était bon, devait forcément être bon.
"L'idée de départ était de construire le matériau couche par couche", raconte Jacques Lewiner.

Cette technique de "tapissage" atomique s'appelle l'épitaxie par jet moléculaire, et elle est bien connue des électroniciens, qui s'en servent pour tous les composants de pointe. Les diodes laser que l'on trouve dans les lecteurs de disques compacts ne sont pas élaborées d'une autre manière.

Dans le domaine des alliages métalliques, c'est plus facile à dire qu'à faire. Les cuprates, ces supraconducteurs "chauds" à base d'oxyde de cuivre, et mis en évidence en 1986 par Georg Berdoz et Alex Müller du Centre de recherches IBM de Munich (4), restent sages quand on les empile, mais seulement sur trois couches d'épaisseur. Après, ils ont tendance à se rebeller, et à se disposer à leur gré.

Bien entendu, Michel Laguës avait décidé d'imposer une structure artificielle au cristal, en empilant cinq, six, sept couches parfaitement régulières et planes. Pourquoi ? Parce que les résultats le montraient, quand on augmente dans les alliages supraconducteurs le nombre de couches de base d'épaisseur atomique, la température critique du matériau, celle où il laisse subitement passer l'électricité sans résister, augmente, augmente...

Avec ces courbes ascendantes sous les yeux, les chercheurs se prenaient à rêver. Suffisamment, dans le cas de cette équipe, pour persévérer dans la filière des "films supraconducteurs", par opposition à d'autres solutions, qui imposent de travailler sur des matérieux épais et "dopés".

L'idée, pour contrôler parfaitement l'empilages de couches, s'apparente à celle qu'aurait pu avoir un architecte : intercaler entre deux films de cuprates un "moule", une grille faite d'un autre matériau, chargé de structurer le cristal.
A Paris, les éléments utilisés pour ce "mille-feuilles" sont des dioxides de cuivre mêlés de calcium et de strontium, voire de bismuth. Les problèmes étaient nombreux. Il fallait par exemple éviter à chaque couche, une croissance vers le haut du cristal (trois dimensions). La couche devait demeurer étalée dans deux directions seulement, comme une pâte de feuilleté aux épaisseurs réduites à celle d'un atome. Pour contrôler cette perfection plane, un dispositif très performant, à base d'électrons éclairant la surface en la "rasant" était mis en oeuvre.

Finalement, c'est en 1991 que le groupe obtient sa première couche en "phase infinie" (5) par épitaxie. Un succès qui, enfin, confirme la faisabilité de la solution, et ouvre la voie aux réalisations d'échantillons. Les premiers résultats en température suivent : 180, puis 250 degrés K cette année, avec une alternance de cuprates et un oxyde de strontium et de titane (CuO-SrTiO3).
La technique, protégée par brevet avant même la publication scientifique, semble destinée à connaître un large succès, dans toutes les applications des courants faibles. Jonctions électroniques plus rapides, transistors à faible résistance, circuits intégrés sans disspation thermique, l'électronique supraconductrice est désormais à portée d'un simple congélateur. Hier encore, il fallait de l'azote liquide.

Sans compter que la technique ouvre une voie : "Dans les prochains mois, deux objectifs sont à poursuivre. Optimiser la température, en augmentant encore le nombre de plans cuprates, mais aussi imagner de nouvelles structures, totalement différentes, et usant du même principe. Qui sait, nous aurons peut-être d'autres bonnes surprises ? " lance Michel Lagües.



(1) En supraconductivité "classique" découverte en 1911, les matériaux laissent passer l'électricité sans résistance à des températures comprise entre le zéro absolu (-273°C) et quelques dizaines de degrés Kelvin (K).
En 1986, des alliages métalliques furent mis en évidence, qui connaissent ce phénomène à des températures supérieures à 30°K. Une révolution expérimentale et théorique était en route....

(2) Détenu par une équipe CNRS de Grenoble. Voir Figaro du 5 octobre 1993

(3) Principales collaborations : laboratoires d'optique physique (Pr Boccara) et de physique du solide (Pr Bok) de l'ESPCI, Ecole Normale Supérieure (Philippe Monod et Nicole Bontemps), ISMRA de Caen (Bernard Raveau), Université Pierre et Marie Curie....

(4) Le matériau lui-même avait été découvert en 1985 par Bernard Raveau et Claude Michel, à Caen.

(5) Phase infinie : alternance de deux plans atomiques, l'un de cuprate (CuO2) supraconducteur et d'un intercalaire qui qui impose au cuivre u ne structure cristalline déterminée.

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