vendredi 25 janvier 2008

Les nouveaux verres

1991
Le verre joue l'intelligence

Fascinant liquide solidifié, le verre a connu bien des enjeux. De leur savoir-faire inspiré des peuples orientaux, les Vénitiens firent un secret vigoureusement gardé, et dans l'antiquité syrienne ou égyptienne, son usage était largement destiné aux adorations. Ce matériau de lumière n' a pourtant pas fini de nous surprendre. Le mélange de silice, de soude et de chaux dont Pline l'Ancien attribue la découverte à des marchands ayant fait cuire leur repas dans le sable, quelque part sur une plage de Phénicie, est en passe de conquérir un nouveau monde. Celui du très technologique épiderme de nos habitats. A travers les laboratoires de recherche, les verres composites, électroniques et organiques sont d'ores et déjà promu au rang de peau intelligente. Demain ils habilleront nos immeubles, recouvriront les autos, joueront avec la chaleur et la lumière pour éviter l'éblouissement, isoler les bureaux, économiser l'énergie. A la demande.

Aujourd'hui encore, quand un architecte a la tentation de "recouvrir" un immeuble d'un revêtement de verre, pour faire place à la lumière, son problème est quasiment insoluble. Doit-il laisser entrer ou sortir l'énergie ? Un casse-tête à l'état pur, puisque les vitres dont il dispose sont capables de conserver l'énergie de chauffage à l'intérieur (doubles vitrages ou miroirs thermiques), ou bien d'empêcher la chaleur et l'excès de lumière de pénétrer, l'été (verres réfléchissant les infra-rouges et la lumière). Construire un palais de verre sous des climats tempérés, avec leurs successions d'étés chauds et d'hiver froid tient donc de la gageure. Si des progrès considérables ont été accomplis ces dernières années, notamment avec les verres à couches minces, c'est toujours dans la même direction, avec des verres à basse émisivité, ou comportant des ajouts de substances chimiques pour augmenter leur résistance thermique sans nuire à la lumière. Mais il est toujours impossible de concilier les contraires. Eviter à votre bureau de trop chauffer au soleil, en le dotant de vitres athermiques le condamne aussi à ne pas pouvoir profiter d'un rayon favorable au mois de janvier.

C'est donc à une nouvelle génération de verres qu'il faut faire appel pour résoudre le dilemme. Il s'agit de verres "dynamiques", capables de s'adapter sur commande à la situation, capables de diminuer leur résistance au passage de la chaleur, par opposition aux placides isolants d'aujourd'hui.

L'idéal étant, on l'a vu, des vitres réfléchissant le soleil excédentaire en été (ce qui facilite la climatisation), mais laissant pénétrer les rayons du même astre en hiver, fournissant ainsi un précieux appoint au chauffage .

C'est ce que suggèrent des produits devenant transparents ou opaques, sous l'effet d'un champ électrique, comme les "vitrages à cristaux liquides". Récemment apparus sur le marché, notamment dans la gamme Saint-Gobain, ces produits sont spectaculaires, capables de transformer une baie vitrée en mur à l'aspect dépoli. Un tel vitrage est fait d'un sandwich de polyester protecteur et d'un film de polymère dans lequel des gouttes de cristal liquide ont été placées. En l'absence de champ électrique, les gouttes réfractent la lumière de manière désordonnée. Quand on applique une tension, l'ordre apparait, les gouttes prennent toutes la même direction et la lumière traverse sans être diffusée. Mais de tels produits, parfaits pour interpréter les cloisons d'intérieur amovibles sont mal adaptés au grandes surfaces (ils reviennent à 8.000 francs au mètre carré), et leur efficacité d'écran énergétique est quasiment nulle (1). Ils ne font qu'empècher les images de passer. L'énergie lumineuse, elle, est toujours transmise, même si elle est devenue incohérente à nos yeux.

Pour jouer le rôle d'écran thermique modulable, les chercheurs possèdent d'autres candidats : les vitrages électrochromes. Cette fois, il ne s'agit plus de rendre la vitre moins organisée, mais carrément de colorier une des couches. Ce sont des ions qui se déplacent dans la couche qui sont chargés de cette besogne, en allant s'accumuler d'un côté quand passe le courant. Le problème étant alors d'obtenir une certaine réversibilité du phénomène. Car s'il est pratique qu'une vitre se colore sous les ardeurs du soleil, il est préférable qu'elle retrouve sa transparence le soir venu.

Pour répondre à cette contrainte, les chercheurs ont du recourir à des assemblages de conducteurs électroniques, d'électrolyte et d'oxydes riches en ions, empilements comportant par exemple cinq couches protégées par du verre. Ce sont là de véritables "batteries" en couches minces. Dans ces solutions, qui recourent fréquemment à des oxydes de tungstène, une tension de l'ordre du volt suffit à provoquer la coloration, avec des temps de réponses il est vrai encore un peu long.

Parmi les rares applications, on trouve des rétroviseurs qui foncent quand les phares d'une voiture suiveuse s'y reflètent (Gentex), avec une variation de la transmission de lumière qui peut atteindre 90 %.

Dès que la technique sera suffisamment au point, les pare-brise pourront être traités ainsi, les fenêtres aussi, en commençant par les petites tailles, qui pourront se passer de volets. La sécurité ? Elle sera peut-être assurée par des films sensibles incorporés à la vitre, détectant tout bris ou fissure. Finalement, les vitres deviendront peut-être même des radiateurs, capables de rayonner l'énergie que leur apportera le courant électrique par l'une des couches du sandwich.

Et si les vitres servaient à éclairer ? Pour limiter le recours aux éclairages artificiels, les chercheurs américains de l'Advanced Environmental Research Group de Davis, en Californie, travaillent sur des fenêtre holographiques. Ces vitres spéciales décomposent la lumière solaire en un spectre coloré, puis recomposent la lumière blanche pour la renforcer, la focaliser et l'envoyer plus loin à l'intérieur des bâtiments. Les lampes de bureau deviendraient ainsi inutiles car on pourrait diriger la lumière renforcée vers des surfaces blanche destinées à la réfléchir vers les plans de travail. Et les pièces aveugles seront illuminées en distribuant cette lumière du jour 'dopée" à travers des fibres optiques.

"Les vitres tendront à terme à intégrer toutes les fonctions annexes que l'on trouve dans un bâtiment : éclairage de jour, peut-être de nuit si on les dote d'un système d'accumulation d'énergie, protection, chauffage.... Des perspectives à long terme, mais tout à fait révolutionnaires", indique M. Bernard Buffat, chef du service "couches minces" chez Saint-Gobain.

(1) La Recherche, avril 1991

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