jeudi 24 janvier 2008

La vie artificielle

Fig Mag, 1992

"La réalité virtuelle, c'est bien, mais c'est déjà dépassé. L'avenir, c'est la vie artificielleW. Howard Rheingold, ingénieur, ancien hacker (pirate informatique), est outre-Atlantique un auteur à succès, ayant commis livres et articles de Wréflexion technologiqueW sur les mondes irréels que concoctent les ordinateurs et que l'on nous projette sur des écrans miniatures, à l'intérieur de lunettes ou de casques. Pour finalement donner le sentiment de pénétrer un paysage, une ville, un appartement, un matériau. Toutes les semaines, pour se tenir au courant des innovations de ce monde mouvant, Howard quitte l'écran de son Macintosh personnel, enfile une chemise à fleurs pour rendre visite aux laboratoires et aux entreprises qui travaillent dans ce domaine, tester leurs dernières trouvailles. Du Ames Research Center de la Nasa à Mountain View, en Californie, au laboratoires Fujitsu, au Japon, il furète, à l'affût des innovations. WVraiment, tout cela va très vite et je ne doute pas que dans quelques années, on sera capable de jouer au tennis dans son bureau, en posant des lunettes sur son nez, quelques capteurs sur ses bras et ses jambes, en tenant un tube bourré d'électronique en lieu et place de toute raquetteW. Le fin du fin, ce sera à terme de pouvoir faire une partie avec un correspondant, lui aussi bardé de capteurs dans son bureau, et connecté à son propre ordinateur. Les deux calculateurs seront simplement en liaison informatique et permettront aux deux joueurs de se WvoirW sur le même court pendant quelques dizaines de minutes, échangeant une balle cent pour cent irréelle, dont l'impact dans les raquettes sera simulé par un quelconque composant pneumatique.

Pour lui et tous les autres fans d'images calculées, l'événement outre Atlantique est en ce moment la sortie de WLawnmover ManW. Un film dans lequel on assiste au premières scène d'amour virtuel, sur le même principe que la partie de tennis. Guère alléchant, les images sont encore trop pauvres, Wmais ce n'est qu'un débutW, promet Rheingold. WMais dans la réalité virtuelle, tout est inscrit, prévisible, et finalement d'une banalité.. Non, ce qui bouge en ce moment, c'est la vie artificielleW.

Au Nouveau Mexique, à quelques kilomètres du temple du nucléaire qu'est le Laboratoire National de Los Alamos, lieu de mise au point des premières bombes nucléaires sur cette planète, quelques écologistes et informaticiens ont en effet trouvé une application nouvelle pour la puissance croissante de leurs machines à calculer. Tenter de faire décrire aux ordinateurs un monde totalement arbitraire, pour lequel on définirait juste les règles de base. Une planète là aussi virtuelle, sur laquelle émergeraient des formes de vie dont il suffirait de programmer les éléments de base pour la voir se diversifier, entrer en compétition, palpiter au gré des climats et des luttes.
Référence de cette nouvelle branche d'informatique appliquée, Chris Langton. Un informaticien de haut vol, pour qui le problème le plus intéressant est de faire traiter des millions de paramètres à des ordinateurs, et faire émerger d'un océan de données un monde globalement cohérent.

Plus marginal, Tom Ray a traité le problème avec des moyens plus modestes, mais une logique éprouvée sur le terrain. Cet écologiste de l'Université du Delaware a passé des années au Costa Rica, le nez plongé dans les milliers d'espèces bien vivantes, en interaction étroite dans une forêt tropicale. Un grouillement de vie dont on oublie même l'existence dans les grandes cités de la côte Est américaine. WC'est une expérience très forte, qui m'a marquéW, rapporte-t-il (1). L'autre déclencheur fut pour ce naturaliste de découvrir l'informatique et le programmation, à travers un programme de WdebuggingW. Un outil informatique qui sert à détecter les erreurs dans un logiciel, et qui permet de voir les instruction de base d'un ordinateur WopérerW en direct, sur l'écran.

Il y a un peu plus de 2 ans, le 3 janvier 1990, Tom Ray lança son programme Tierra sur l'ordinateur de l'université. Il y avait définit des êtres primitifs, dotés d'un Wcode génétiqueW de 80 instructions. Capable de se reproduire comme des bactéries, de se nourrir, de se batte pour l'énergie et l'espace, mais surtout d'évoluer, par erreurs de codage et adaptation.

Pari difficile : comment être certain que les être primitifs n'allaient pas tous dépérir en quelques secondes, ou muter au point d'être incapable de quoi que ce soit ?

les surprises furent au rendez-vous de Tom Ray. A commencer par les évolutions, en quelques milliers de générations, vers des individus plus grands, plus complexes, mais également d'autres plus simples. Apparurent des parasites, dotés de 45 instructions, qui avaient perdu la capacité de se répliquer et dépendaient de celle de leur WhôteW pour survivre. Et comme tout parasite, ils étouffaient leur victime, mais sans aller jusqu'à menacer sa survie...

Certains de ces êtres, par réaction, s'immunisèrent contre ces parasites, en devenant résistants. D'autres encore se simplifièrent, mais au lieu de devenir des parasites, devinrent WcoopératifsW, à la manière des insectes sociaux.

Autre enseignement : des phases successives d'extinction massives apparaissent rapidement, un peu à la manière de celles dont on trouve trace sur Terre (comme les dinosaures, voici 65 millions d'années), et que l'on attribue le plus volontiers à des catastrophes cosmiques. La différence, c'est que sur l'écran de l'ordinateur, les espèces dominantes finissent par dépérir, ou par épuiser les ressources du milieu et entraînent de nombreuses espèces mineures dans leur perte. Que l'on se rassure. Ces coups de balais sont généralement suivis de grandes explosions de vie, comparables à celle du Cambrien, il y a 550 millions d'années.

WCe n'est qu'une simulation, un jeu pour un tout petit dieu. Mais c'est très riche d'enseignementsW, estime Ray. Le chercheur, à tout hasard, a tout de même pris des précautions. Ainsi ses créatures informatiques ne sont pas libres de leurs mouvements. Coiffée d'un environnement informatique étanche, elles se retrouvent sous bulle. Incapables de s'évader pour aller infester d'autres ordinateurs, et par le biais des réseaux, envahir notre monde bien réel à nous !


(1) New Scientist 22 fev 1992

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