mercredi 3 mars 2010

Fabre/4/La cigale scandaleuse

Les années de Fabre (1823-1915)

Cigale : la scandaleuse est une diva

Comme souvent dans le midi tout commence avec la chaleur du solstice d'été. Par légions alors soudain elles percent des orifices gros comme le pouce dans les terres assoiffées. Les cheminées qui se découvrent sont crépies de l'intérieur. D'un mélange de terre et d'urine. Dans ces manoirs les larves attendaient le cagnard et la fin des coups de mistral. Ayant passé quatre années sous terre elles pouvaient patienter quelques heures encore afin d'assurer tout le succès à leur apothéose.

C'est le moment. La lumière est là le ciel dégagé. Les bataillons de nymphes sortent de terre et se font alpinistes. Thym, ronce, aubépine, peu importe, pourvu que la verticalité soit totale. Agrippée à son support la bête dès lors ne lâchera plus prise. Le temps que se déchire, dans la jouvence solaire, l'enveloppe qui la serre.

Cela se déchire. Vert tendre l'insecte paraît. La décortication est laborieuse. Une gymnaste agitée ne ferait pas pire, attachée à sa barre. On commence par le thorax puis on libère la tête, la carapace, les ailes. Reste l'abdomen englué dans le fourreau. L'animal se retrouve la tête en bas, suspendu par la défroque, arrimé à son rameau. Une lutte s'engage avec des coups de reins. Finalement, l'adulte est déshabillé. Il ne bouge plus. Sa vieille tunique à ses pattes, il s'agrippe à la tige.Sous les ardeurs du soleil, le vert tendre, le jaune fragile se rembrunissent. A l'intérieur des téguments la chimie de la vie bouillonne. Encore une heure ou deux et tout sera dit. Grimpée larve à neuf heures, la cigale à midi s'envole.

Alors, dès l'entame de l'été, au pays des oliviers on mesure les mots de La Fontaine. L'ampleur de ce "tout" dans "La cigale ayant chanté tout l'été". Car il faut l'avoir entendu, ce chant. Ceux qui auront tenté d'écrire quelques lignes ou de commettre une sieste en compagnie de l'un des ces fameux "cacan" savent son endurance et sa puissance. Pas moyen de lui mettre une sourdine ! Par tous les démons comment ce modeste animal peut-il produire tel vacarme ?

La question obséda Fabre.

Ses investigations, sur les diverses espèces de la campagne d'Orange furent les premières à expliquer de façon complète et juste l'organe bruiteur des Cicada. Il était question de miroirs d'église, de couvercles. Fabre montre assez facilement que ce ne sont là que des organes de résonance. Non la production du son est localisée sous une bosse dorsale noire (C. plebeia) que la cigale porte entre ses deux ailes postérieures. Deux membranes blanches, dures, et bombées sont là. Sous la pression de muscles puissants, elles se déforment en produisant un bruit de cliquet, un peu comme ces lames d'acier que les enfants déforment entre les doigts pour faire le bruit de clic-clac. Surtout, chez certaines espèces où les organes du système de résonance sont simplifié, la cavité ventrale, la caisse d'écho dédiée à la puissance du son est énorme. Chez le cacan, la cigale de l'orme, elle atteint les deux tiers du volume ventral. Du vide, pour offrir à l'animal plus rudimentaire une trompette de ventriloque.

A quoi sert ce boucan ? Fabre, irrité, n'a pas trouvé la réponse à cette question. Il a même constaté que la Cigale est quasiment sourde aux explosions. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ne perçoit pas les vibrations produites par le vacarme, par le truchement de son corps, par exemple. Le son peut faire fuir des espèces concurrentes, établir une synchronisation au sein de l'espèce, intimider des prédateurs. Même si l'on ne voit aucune femelle accourir sous l'effet du chant, comme le déplore l'entomologiste.

Fatigué par ces étés de couinements, Fabre tient pourtant à réparer une injustice. La diva des restanques n'est pas l'imprévoyante de La Fontaine. Au contraire, lorsque de son rostre elle perce l'écorce pour boire, les autres accourent, dont les fourmis, qui viennent profiter de l'aubaine. C'est donc elle qui rassasie les petites agitées...

Mais à propos, peut-on s'en rassasier ?

Pour les grecs de jadis, Aristote le Stagire le dit, la larve de cigale (tettigomettra) était un met délicieux. A consommer de préférence juste avant la rupture de l'enveloppe de la juvénile, au moment ou celle-ci va prendre sa forme définitive, auraient précisé les paysans au précepteur d'Alexandre.

Dans les ardeurs solaires d'un matin de juillet, l'homme de Sérignan expédie donc sa maisonnée chasser dans la garrigue. Et le soir, à la table familiale : festin. Courageuse petite famille : "A l'unanimité, c'est reconnu mangeable... Mais c'est coriace en diable, pauvre de suc, un vrai morceau de parchemin à mâcher".

Conclusion de Fabre : les paysans grecs se sont gaussés d'Aristote. A moins que notre acharné ne soit mauvais cuisinier ?

mardi 2 mars 2010

Fabre/2/Le Scarabée

surtitre Série d'été

Sur titre Les étonnants insectes de Jean-Henri Fabre, entomologiste

titre. 2. Scarabée, le bandit manchot

sous-titre Les comportement que l'on prête aux insectes sont souvent inspirés de ceux que nous nous connaissons. Un exemple avec la coopération entre scarabées, dénoncée et démasquée par Fabre, et qui recouvre en fait une féroce compétition.

Patrice LANOY

C'est une de ces belles journées de printemps, comme on aimerait en mettre en réserve dans le panier de la vie. Le mistral est là, qui ondule la Provence à grande bouffées. Et dans une sente, entre thyms et aubépines un étrange convoi chemine. C'est une pomme, non une boule brunâtre, qui avance dans la poussière. On regarde. Il y a cortège. Un énergumène, petit diable noir s'agite, et pousse sa balle immense, trois fois plus haute. D'ailleurs il s'en tire avec les honneurs, le fébrile. C'est un bousier. Oui mais le plus grand, le plus noble. Le Scarabée sacré. Celui que les Egyptiens de l'antiquité soupçonnaient de charrier le monde...

Lui ne s'émeut guère de tout cela. Il a la tête à sa boule de fiente, qui roule. Dans une incroyable position, la tête en bas, ses pattes arrières vers le ciel, posées sur la sphère, et ses pattes de devant qui s'arc-boutent sur le sol, il pilote. Et sa vitesse de croisière est impressionnante.

Surgit sa copie, un cousin. Un autre petit colosse, à l'armure noire et moirée. Eh, collègue, un coup de main ? Lui aussi va se mettre à pousser la boule. La même. Merci. Ils sont deux maintenant. Et d'ailleurs ils montent un raidillon difficile, l'un bloquant la boule dès que l'autre fatigue. C'est chouette la nature, le royaume de l'entraide...

C'est ce que pensaient au siècle dernier les spécialistes de ces insectes, qui souvent avaient assisté à de telles scènes. Jean-Henri Fabre, lui, est sceptique. Prêter un comportement humain, comme l'entraide, à des insectes ? A vérifier. En enquêteur de terrain, Fabre va passer des semaines, des mois, à contempler les petits pousseurs de bouse. Allant jusqu'à quémander alentour du crottin pour le besoin de ses expériences ("....cueillir honteusement, à la dérobée, dans un cornet de papier, l'offrande qu'un mulet passant déposait...") Grâce à ses observations, nous savons ce qui se passe entre les deux sacrés hapogastres, après....

Le propriétaire du ballon, toujours reste à la même place. Tête en bas, moteur en marche arrière, il pousse sur les bras. L'autre virevolte. Il s'éloigne, revient, fait mine de pousser un peu. Eh je participe, quoi.... Puis lorsqu'il fatigue, d'un bond grimpe sur la boule, rentre ses pattes sous sa cuirasse et fait le mort. Carrément se laisse rouler avec le reste, passant même sous la roue au hasard des avancés. Sa faisant carrosser comme s'il était partie de cette matière mobile. Vous parlez d'une aide... Un poids mort, oui.

Arrive la fin du parcours. Le chauffeur a cessé de conduire, il souffle à peine et tâte le sol de ses antennes. C'est un joli coin, non ?

Il creuse. De ses pattes avant bien plates, dépourvues de tarses (ce qui en fait, comme tous ceux de son espèce, un manchot), il creuse encore. Un large trou, à la mesure de la pomme. L'autre, le pseudo-assistant, le voyeur, le contemple, bien installé à proximité de la précieuse sphère. Le trou s'agrandit. De plus en plus, le propriétaire reste longuement au fond. Le travail le retient. Soudain, n'y tenant plus, pas vu pas pris, l'autre prend la poudre d'escampette. Avec le butin, c'est entendu. A toute vapeur il pousse et roule, mettant le plus de vent possible entre lui et le terrassier.

Plusieurs mètres ont été parcourus avant que le mineur ne remonte vers la surface. Hola ! Il faut croire que la chose le surprend à peine. Il n'hésite pas. Le voilà qui file, reniflant à peine la piste, et retrouve la trace du maraud. Un sprint effréné, et il le rejoint. L'autre, voyant le nuage arriver a compris. Et avant d'être rejoint il a déjà quitté la position du voleur-pousseur pour celle, plus innocente, du comparse-sauveur qui peine à bloquer cette satanée boule, qui d'un coup, est partie rouler dans la pente. Si je n'avais pas été là...

Le quasi-volé garde son calme. Et de concert, les deux reconduisent ensemble la pomme vers la galerie. Ils vont s'enfermer ensemble dans le terrier, et déguster la friandise, de longues journées durant.

Parfois, les choses tournent au pugilat, dès la confection de la boule commencée, près des offrandes des mulets ou des moutons. Question de rapport de forces, suggère Fabre. Si l'un des deux se sent plus fort, il attaque. Si les deux protagonistes sont de force équivalente, et le sentent, ils évitent le conflit de cette manière.... Mais en matière d'association, il n faut pas rêver.

Autre étonnement de l'homme de Sérignan. Meme abondamment pourvu de bouses, en captivité, rassasiés, les scarabées continuent à afficher ce comportement de bandits...

sign. P.L.

Note : Cette série d'article est inspirée des "Souvenirs entomologiques", dans l'édition Laffont-Bouquins. On pourra aussi lire le livre d'Yves Delange, "Fabre, l'homme qui aimait les insectes" (Ed Champion-Slatkine). Pour les passionnés la visite de l'Harmas, la maison-musée de Fabre à Sérignan, près d'Orange, s'impose.

prochain article : la chirurgie du Sphex

Fabre/1/Le Capricorne

surtitre Série d'été :

Sur titre Les étonnants insectes de Jean-Henri Fabre, entomologiste

titre. 1. L'enfer du Capricorne

sous-titre La larve de ce coléoptère, vorace habitant des entrailles des arbres, est capable de préparer, d'instinct, le chemin vers la liberté qu'empruntera sa forme adulte. Oui mais comment

texte

Capricorne est un creuseur de fond. Un forçat enchaîné à son festin de bois. Trois ans durant, aveugle, sourd, sans odorat, "ce bout d'intestin qui rampe", comme le dépeint Fabre dévore, grignote au coeur des arbres. Rien ne résiste aux bouchées de la larve obstinée, pas même les plus durs, ces chênes qui s'abattent parfois, sous un orage d'été, découvrant un entremêlis tunneliers.

Car son tunnel, ce boyau qui fait des loopings au fond du bois et qu'il rebouche de ses excréments, est à la fois aliment et maison. "Vivre et couvert", dit Fabre. Et il s'en porte bien, le mou taraudeur, puisqu'a force des bouchées qu'inflige sa mandibule noire, sorte de cuiller à bord tranchant, il accumule la graisse dans son enveloppe blanchâtre.

Mais Cerambyx miles (Capricorne du chêne) est aussi porteur d'un mystère. Comment un tel écervelé fait-il pour accomplir tout ce cirque ? Car manège il y a : l'intestin aveugle va, un beau jour, cesser de se gaver du coeur juteux de l'arbre. Sous l'effet de quel signal biochimique, de quelle horloge interne, ou de quelle modification de la sève ? Peu importe. Toujours est-il qu'alors le vorace abruti met le cap vers l'écorce. Parvenu à fleur d'air, au risque de se faire happer par un pic qui piquerait par là ("qui ferait régal de la succulente andouillette"), il prépare une petite fenêtre, une sorte de porte un peu camouflée. Son ouverture faite, il s'en retourne un peu plus profond et prépare cette fois avec un soin maniaque sa chambre. Un lieu douillet où il pourra réaliser sa nymphose, sa transformation en imago rigide et à longues antennes.

Des années durant, Fabre fait débiter par les bûcherons de sa Provence les plus vieux arbres, les plus malades, et recueille larves et coléoptères. Des mois il les enferme dans de petites boîtes de chêne, de bambou, pour tester leur capacité à percer. En déduit que c'est bien la larve qui prépare la sortie, et non l'imago, incapable de tarauder. Il note mille choses. Que la chambre de la nymphe, menacée par les prédateurs maraudeurs a son orifice clos d'un composite, un sandwich de trois matériaux : à l'extérieur des débris ligneux, du bois haché. Puis un opercule minéral, un couvercle d'un seul tenant, fait de pâte calcaire et d'un ciment organique, qui prête à cette pilule la résistance du roc. On peut s'étonner au passage que l'estomac de la larve soit capable, à un moment de son existence, de changer de régime, et de sécréter un tel opercule. Fabre répond que de nombreux insectes, comme le Sphex ou les Scolies sont capables de prouesses chimiques de cet acabit, et usinent par exemple la laque dont il enduisent leur cocon.

Enfin le précieux couvercle comporte parfois, sur sa face intérieure, une couche de copeaux.

La chambre de la nymphe est totalement adaptée au cours des événements : un ellipsoïde aplati, de dix centimètres de long et de deux à trois centimètres de large dans les deux directions, au centre. Une forme et une taille qui permettront à l'animal adulte de manoeuvrer pour abattre la porte et gagner la sortie préparée dans l'écorce.

Fabre observe en détail jusqu'au revêtement de feutre de bois que l'animal méticuleux dispose sur les parois, probablement pour protéger sa future et fragile enveloppe de nymphe. Toujours la larve "s'endort" la tête vers la porte de sortie. C'est une question de vie ou de mort. Devenu coléoptère, avec son exosquelette rigide et encombrant, la bête ne pourrait plus se retourner. Incapable de se ruer vers la porte pour la faire sauter, l'animal serait perdu, emmuré dans son trou. Mais comment le sait-il ? Comment un être aussi simple et isolé de ses frères peut-il deviner tant de choses ? Aujourd'hui c'est une fausse question. Fabre la pose avec l'intelligence de son temps. Il répond par l'instinct, par l'inné, à l'heure ou l'on débat des idées de Darwin et de Lamarck. Mais sait bien, mille détails le prouvent, que ce sujet là reste à explorer. Et s'il opte bien sûr pour le comportement inné, il reste en retrait sur l'explication évolutionniste ou finaliste. Soigneusement.

Plutôt que de réagir en homme de système, voulant à tout prix faire entrer les faits dans un modèle théorique Fabre scrute, accumule les détails, combat les idées fausses -et elles ne manquent pas- sur le comportement des insectes. L'époque est en déficit d'observation. Les systémistes débattent souvent au-dessus d'abîmes de vide. Du comportement animal, on n'a que des ignorances. Quant à Fabre, on peut le soupçonner d'espèrer saisir dans les dédales des galeries d'un animal, au détour d'une compétence d'une cigale, un élément nouveau, inclassable ou signifiant. Observer, donc. C'est son obsession, et il déploie des trésor d'énergie et d'imagination pour cela. A l'Harmas, sa maison de Sérignan, un enfant qui lui signale un Sphex (guêpe parasite) traînant sa proie suffit à le faire surgir de son bureau, loupe à la main, pour aller observer, même s'il a déjà vu ce spectacle des dizaines de fois... Ne sait-on jamais ?

La semaine prochaine : La bataille des scarabées

Note : Cette série d'article est inspirée des "Souvenirs entomologiques", dans l'édition Laffont-Bouquins. On pourra aussi lire le livre d'Yves Delange, "Fabre, l'homme qui aimait les insectes" (Ed Champion-Slatkine). Pour les passionnés la visite de l'Harmas, la maison-musée de Fabre à Sérignan, près d'Orange, s'impose.