jeudi 17 janvier 2008

Décryptage génôme

Ca M'intéresse, 1989

Main basse sur le génome

Américains, Japonais et Européens sont partis dans une nouvelle course scientifique. Mais en ordre dispersé, à coups de millions de dollars, de yens et d'écus. Même les Soviétiques et les Indiens sont de la fête. Il s'agit de décoder les instructions intimes qui organisent la vie des birques vivantes de nos corps, les cellules.

Un symposium réuni à Paris du 29 au 31 janvier a tenté de faire souffler un vent de coopération sur ce sujet entre chercheurs de tous les continents. Il était temps, puisque des milliards de dollars de royalties apparaissent déjà au bout du tunnel de la recherche.
Systèmes d'identité génétique, maladies héréditaires comme la mucoviscidose, la myopathie ou Alzheimer, prédispositions au cancer, faiblesse du système immunitaire : des dizaines de milliers de nos petites et grandes faiblesses sont contenues dans ce programme de plus de trois milliards d'instructions. Autant dire que leur connaissance ne peut qu'augmenter considérablement les chances de trouver les parades à un certain nombre de maladies, de carences, de troubles dont les racines plongent jusqu'aux gènes.
Aller déchiffrer ce programme est un travail de dimension astronomique. Et certains comparent sans hésiter le projet à celui qui a conduit, en quelques milliards de dollars, les astronautes de la NASA à gambader sur la lune..

Est-ce vraiment indispensable ? N'y-a-t-il pas des moyens plus urgents, plus utiles d'employer les milliers de chercheurs et les vingt à trente milliards de francs que mobilisera le projet ? D'ailleurs la méthode américaine, qui consiste à décortiquer tout le génome, et que les chercheurs d'outre-atlantique proposent aux autres nations dans le cadre du programme international "HUGO" (Human Genome Organization) est-elle vraiment la plus pertinente ? Même sur cela, les scientifiques ne sont pas d'accord.

"Parce que sur les 30 000 à 100 000 gènes qui composent le génome (on ne sait pas bien au juste), 5 % voire moins sont utilisés par la cellule et les autres supportent peut-être de l'information inutile", remarque le professeur Giorgio Bernardi, de l'Institut Jacques Monod à Paris.

"De toute manière, les équipes qui auront les moyens financiers vont s'attaquer aux séquences les plus intéressantes, aux chromosomes les plus prometteurs... On ne va pas commencer par ce qui ne sert à rien", note Bertrand Jordan, directeur de l'Institut d'Immunologie de Marseille-Luminy.

Les chercheurs français, comme de nations qui disposent de budgets plus modestes que les Américains, proposent une autre stratégie : "cartographier".
Il ne s'agit plus là d'analyser chaque maillon de la chaîne en détail mais de repérer les zones véritablement actives et intéressantes du génome. En les repérant avec précision, on peut déjà apprendre beaucoup de choses, puis passer à une étude détaillée.
Une approche que défend le Centre d'études du polymorphisme humain, fondé en 1984 par le Professeur Jean Dausset, grâce à une donnation... La technique de la cartographie permet déjà d'établir les diagnostics prénataux pour certaines malformations du génome, sans connaître en détail les séquences des gènes.
"Comme une carte TGV de la France mettrait Lyon à deux heures de Paris et une carte physique à 500 km, la carte génétique donnerait une bonne idée de la distance, mais la carte physique du génome sera indispensable pour comprendre vraiment une maladie", précise Bertrand Jordan.
A terme, et c'était l'un des objectifs de la rencontre de Paris, il s'agit de mettre sur pied une banque de données internationales, les chercheurs se mettant d'accord sur un partage standardisé du génome pour travailler plus efficacement. Une méthode semble actuellement se dégager, reste à résoudre le problème de la disparité financière et des priorités entre laboratoires. Un simple comparatif des budgets engagés dans les différents pays permet de s'apercevoir que la lutte est inégale. "A l'heure actuelle, les Etats-Unis consacrent 100 millions de dollars par an à ces recherches, la Grande-Bretagne a débloqué 11 millions de Livres sur trois ans et la France possède une action concertée du ministère de la recherche à hauteur de 6 millions de francs, qui devrait augmenter en 990" note encore Bertrand Jordan.
Et le Japon ? Il semble qu'il fasse pour l'instant beaucoup de bruit pour peu de moyens véritablement engagés dans sa proposition internationale "Human Fronteer", dont le bureau a été installé à Strasbourg.
La CEE pour sa part attend de clarifier la position ouest-allemande, très hostile à ces recherches pour des raison éthiques liées à son histoire (les nazis ayant appuyé leur doctrine eugéniste sur la biologie fondamentale de l'époque), mais un projet Eurêka entre industriels a déjà pour objectif de créer une nouvelle machine à séquencer le génome.
Quelle est la solution pour les chercheurs français ? User de leur matière grise, mais aussi miser, comme Bertrand Jordan, sur des particularités génétiques de la population locale de Marseille, qui fournissent des avantages dans une démarche de type "cartographique". Son laboratoire travaille ainsi sur le retard mental lié au chromosome X, une affection dont souffre une population limitée à la région.
La lenteur internationale à emboiter les autoroutes américaines exaspère en tous les cas James D Watson, prix Nobel et responsable du projet américain. A l'automne, devant une commission du Sénat, il a menacé les autres nations d'embargo sur les résultats made in USA si elles ne collaboraient pas à son réseau ! Une menace mal perçue par la communauté scientifique, et a priori dirigée contre le Japon, qui exploitait depuis plus de 20 ans, les découvertes américaines sur les semi-conducteurs sans verser un yen de droit...
Au bas mot, accord international ou pas, plus de 15 ans et au moins 3 milliards de dollars seront, dans une première analyse, nécessaires pour aller jusqu'au bout du séquençage du génome. Et encore, dans l'hypothèse où les développements de la technique continueront de progresser, l'informatique de pointe venant à la rescousse. Aujourd'hui, pour pouvoir lire un nucléotide, c'est à dire l'un des 3 à 4 milliards d'éléments d'information du génome, il faut dépenser 1 dollar. "A un rythme qui nous amènerait en l'an 2050 pour achever le travail", note Charles Cantor, l'un des responsables américains du programme HUGO.
Pour tenir le planning qu'annoncent les chercheurs, il faudra encore développer des machines, mettre au point de nouvelles technologies. Une démarche de "grand programme" qui permet de contrôler tout le secteur "génome" et qu'affectionnent particulièrement les constructeurs américains, qui devront réaliser ces nouveaux outils de biologie et d'électronique. Ils sont soutenus par les grands organismes, comme le DOE, le département de l'énergie, ou le NIH, l'Institut National de la Santé, qui participe largement au projet. Une manière de motiver l'aventure scientifique qui séduit également les membres du Congrès américain, puisque l'économie nationale profitera d'une recherche qui, à terme, devrait le rendre très largement, sous forme de royalties et de licences...
Les Japonais, pour leur part, annoncent tout de même avoir mis au point des appareils qui permettent de robotiser le travail, et de réduire le coût d'exploration d'un nucléotide à un franc environ. Si cela se confirme, c'est un bond impressionnant, quand on songe qu'à la fin des années 70 les biologistes peinaient pour établir un nucléotide et dépensaient près de 60 francs à chaque reprise... Une prouesse technologique qui amplifierait encore les craintes américaines !
Mais même en imaginant que l'on soit capable d'aligner bientôt sur une feuille de papier les 3 milliards de nucléotides du génome, les ennuis des chercheurs n'en sont pas terminés pour autant.
Pour s'en convaincre, on peut s'imaginer qu'à raison d'un centimètre de papier pour écrire la formule d'un nucléotide, le ruban comportant la formule du génome s'étendrait sur plus de 30 000 km de distance. Ou encore que toute cette information occuperait les pages d'une collection de plusieurs milliers de livres...
Par exemple, les gènes qui conditionnent la couleur de nos yeux, ou ceux qui sont susceptibles de favoriser le déclenchement d'un cancer (oncogènes), sont des groupes de nucléotides qui regroupent des milliers d'information de base. Et pour compliquer la chose, un gène est composé de nucléotides géographiquement proches, mais pas forcément attenants les uns aux autres, ni même présents sur le même chromosome.
Les chercheurs auront donc besoin de la carte physique, mais aussi de règles, de calculateurs dédiés, des cerveaux électroniques conçus spécialement pour gérer ce genre de difficultés à des coûts raisonnables.
Pour compliquer la tâche, la séquence moléculaire de l'ADN (voir encadré) se trouve en outre organisée en trois dimensions, comme un serpentin dont la forme-même des boucles est importante.
Des séquences chimiques invisibles, tout justes perceptibles pour les plus performants des microscopes. Les chercheurs de l'Université américaine de Berkeley viennent de réaliser le tour de force technologique de distinguer pour la première fois un fragment d'ADN, sous un microscope à effet tunnel...
Que l'on se rassure, ce qui est apparu sur le cliché des habiles observateurs a bien la fameuse forme en "double hélice", découverte en 1953 par James D Watson et Francis H C Crick. Elle saisit entre ses montants les alternances porteuses d'information des quatre bases de l'ADN : (T). Quatre petites substances chimiques dont on parlera beaucoup au cours des prochaines années.

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