dimanche 27 janvier 2008

Télescope géant au Chili

préparatifs du VLT européen, au Chili
1991

Un sommet vierge pour le plus beau des télescopes

Un peu myope en raison de son miroir mal poli, le télescope spatial Hubble ne remplit pas tout à fait ses objectifs. Dommage. Mais les astronomes se consolent déjà avec d'autres projet. Du moins en France et en Europe, où l'on prépare activement le VLT (Very Large Telescope). Ce nouveau bijou de technologie sera érigé dans la Cordillère des Andes et ses performances, supérieures sur le papier à celles de Hubble, en feront probablement le meilleur télescope mondial pour observer le ciel austral au début des années 2.000.
Mais attention, pour réussir aujourd'hui une bonne machine à fouiller les zones les plus reculées de l'univers, il ne suffit pas de réaliser des optiques ultra-performantes. Il convient avant tout de se procurer un bon site, une montagne où les nuits sont sans nuage, l'air sans humidité pour ne pas gèner la propagation des rayons lumineux, et avec le moins de perturbations atmosphériques possibles. C'est pourquoi, l'annonce définitive du choix du site du VLT, faite au mois de décembre par l'organisation de l'Observatoire Européen Austral (ESO) revêt une importance toute particulière. L'ensemble de quatre télescopes dotés de miroirs de 8,2 mètres de diamètre qui additionneront leurs surfaces pour former l'équivalent d'un télescope géant de 16 mètres sera perché sur le site exceptionnel du Cerro Paranal au Chili. "C'est probablement la meilleure montagne au monde à ce jour dans l'hémisphère sud", estime l'astronome français Gérard Lelièvre, qui a participé au choix du site du très grand télescope européen.

Situé à 12 km du Pacifique, par 2.664 mètres d'altitude, cet endroit ne risque pas de subir les lumières ou les pollutions de la ville. La cité la plus proche est Antofagasta, à 130 km au nord, et les activités minières importantes sont à 400 km de là. En outre, les conditions météorologiques locales garantissent un air pur et sec en altitude.

Il aura fallu plus de six années pour étudier la qualité de ce Nirvana de l'astronomie. La plus longue et la meilleure enquête jamais réalisée pour choisir un perchoir à télescopes, menée en installant une véritable station météo et un observatoire miniature sur ce sommet perdu de la Cordillère. "On a tenu compte de la pollution, des nuages, de la transparence de l'atmosphère, de l'absence d'humidité, des qualités potentielles des images obtenues", poursuit Gérard Lelièvre. "Pour vous donner un ordre de grandeur, le pourcentage de bonnes nuits d'observation y est de 81 %, contre 50% à La Silla, et on gagne 15 % sur la qualité des images". La Silla, l'actuel site astronomique de l'ESO se trouve 500 km plus au sud et abrite une batterie de quatorze télescopes européens. "En gros, on gagne 25 à 30 % sur notre investissement si l'on va à Cerro Paranal plutôt que si l'on installe le VLT à La Silla".

Bref, un site en or, qui justifie même que l'ESO ait acquis par prudente anticipation des droits sur une montagne voisine, le Cerro Armazones. "Au cas ou l'on voudrait étendre les installations, y transférer certains télescopes de La Silla, et pour éviter de se faire doubler par d'autres nations". Pour conforter ce choix, le gouvernement chilien a offert un beau "jardin" à l'ESO, 725 km carrés vierges autour de Cero Paranal, pour le protéger de toute pollution potentielle.

Des précautions qui se comprennent, au vu du montant de l'investissement : le VLT coûtera plus de 1,2 milliards de francs, dont un quart environ sera pris en charge par la France. D'ailleurs un tel équipement comporte toute une logistique : il faudra tracer une route, depuis l'ancienne panaméricaine qui passe au pied de la montagne, construire un hôtel pour la centaine de personnes qui s'activeront autour des miroirs vers l'an 2.000, une piste d'aterrerissage, les approvisionnements en eau et électricité.

De quel genre de performances ce VLT sera-t-il capable ? Sa résolution, en mode direct d'observation devrait atteindre 0,01 de seconde d'arc, ce qui lui permettrait au bas mot de distinguer des objets d'un mètre à la surface de la Lune. Un chiffre dix fois meilleur que celui du télescope Hubble en orbite, obtenu grâce à une optique active et adaptative (les miroirs sont déformables, pilotés par ordinateur pour compenser les turbulences de l'atmosphère), et à l'interférométrie (on compare les signaux lumineux reçus par deux ou quatre miroirs). A titre de comparaison, l'un des meilleurs télescopes actuels, réalisé par la France et le Canada à Hawaii, sur le Mauna Kéa, obtient une résolution de 0,2 secondes d'arc (200 fois moins bien).

Le premier miroir du VLT sera installé en 1995 et le télescope devrait être complet vers l'an 2.000. On prévoit aussi d'installer tout autour d'autres petits télescopes, pour pouvoir augmenter encore la "surface virtuelle" en mode interférométrique. La résolution pourra ainsi atteindre 5/10.000-ème de seconde d'arc.

Tout cela parait fort compliqué ? Un chiffre donnera une explication à ce déluge de technologie : l'instrument une fois complet sera capable de "voir" des étoiles de magnitude 30. Des astres plus que faibles, qui font parvenir 150 fois moins de lumière à notre regard qu'une étoile de magnitude 22. Et savez-vous combien de photons, de grains de lumière, une étoile de magnitude 22 fait parvenir sur Terre ? Seulement six photons par seconde et par mètre carré ! Les astronomes en sont à compter les grains de lumière qui arrivent toutes les 10 secondes, qui sont totalement noyés dans le bruit de fond que fait l'atmosphère, a vouloir éviter (en infra-rouges) le rayonnement thermique d'un oiseau qui passe dans le ciel... D'ailleurs seul l'ordinateur sait extraire de ce fatras informel de signaux parasites le fluet signe distinctif des quelques photons qui tombent à intervalle régulier, provenant avec la même énergie du même coin de ciel. Il gomme alors tout ce qui n'est pas de nature cosmique, pour conserver le précieux signal. "Et pour améliorer encore le résultat, on imagine à utiliser des lasers, pour éclairer le ciel à 90 km d'altitude. Une manière de créer une étoile artificielle dans le champ du télescope, pour observer avec précision comment son image est perturbée par l'atmosphère. Connaissant au mieux les perturbations, on pourra alors encore mieux corriger les images au niveau des miroirs, ou par traitement informatique", souligne M. Lelièvre.

Une panoplie d'atouts qui devrait permettre au super-télescope européen d'entretenir une saine compétition avec les instruments que préparent les scientifiques américains à Hawaii (Keck Telescope de 10 mètres), en Arizona avec l'Italie (Columbus, 11 mètres) et au Chili (à Las Campanas, 8 mètres).

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