vendredi 25 janvier 2008

Zéro absolu

La course au froid
1992
W = guillemets

Les records n'en finissent pas de tomber. L'un après l'autres, les grands laboratoires engagés dans la course au grand froid cernent le zéro absolu. Dernier en date, le Joint Institute Laboratory for Astrophysics de Boulder, au Colorado, qui vient de passer à un millionième de degré Kelvin (1) du zéro. A un cheveu de la température où plus rien ne bouge.

L'intérèt ? Celui de faire une autre physique. Aux basses énergies, avec des lasers et des bancs optiques on peut ainsi pousser les atomes dans les retranchements de leurs comportements quantiques, et mieux les observer pour les Wfaire parlerW.
WPour nous, la température correspond au mouvement cinétique des particules, des atomesW, explique Claude Cohen-Tannoudji, professeur au Collège de France, responsable d'une équipe de recherche conjointe au Collège, à l'Ecole Normale Supérieure, à l'Université Paris VI et au CNRS. Sobre définition, qui signifie que pour jongler avec le point zéro, il s'agit dans un petit volume déterminé de contrarier tout mouvement de la matière.

Audacieux pari, sachant que les éléments ne demandent qu'à interagir et à s'agiter et que le zéro absolu n'existe nulle part dans la nature. Même le cosmos, dans ses recoins intergalactiques les moins denses, est beaucoup plus chaud, à 2,7 degrés K au moins !

Diverses techniques sont aujourd'hui utilisées pour refroidir des atomes au point de les immobiliser totalement et l'équipe de l'Ecole Normale Supérieure est largement dans la course. C'est même elle qui détenait le record précédent, avec 2 millionièmes de degré K.

Dans le principe, il s'agit d'aller prendre l'énergie susceptible d'agiter les atomes en les faisant interagir avec un faisceau de lumière, une onde qui va WralentirW la matière en lui WpompantW son énergie. C'est très proche du principe du pompage optique, énoncé par Alfred Kastler dès 1950, pour ordonner les atomes d'un point de vue magnétique (moments parallèles). L'idée d'utiliser en pratique un laser pour refroidir les atomes en leur prélevant de l'énergie date, elle, de 15 ans.

La force de pression qu'exerce une onde lumineuse sur la matière est en effet loin d'être négligeable. Déjà Maxwell avait au siècle dernier mis en équation la force exercée par la lumière sur un simple miroir.

Un atome placé sur le parcours d'une onde lumineuse subit des états d'excitation et de désexcitation car la rencontre lui apporte de l'énergie. En absorbant un photon de lumière, l'atome WreculeW, sa vitesse varie dans le sens de la lumière. Quand il se désexcite en réémettant un photon de fluorescence, il recule à nouveau, mais dans une direction aléatoire. Et cette fois, ceci produit un changement de vitesse en moyenne nul. Il ne reste finalement que la pression de radiation due à l'excitation, exercée dans le sens du laser. C'est le plus intéressant : on voit qu'un laser dirigé en sens opposé d'un jet d'atomes produit un effet capable de bloquer ceux-ci d'un grand coup de frein. Dans la pratique, c'est un peu plus compliqué, car la fréquence lumineuse doit varier, pour s'adapter à la vitesse des atomes (pour rester en résonance malgré l'effet Doppler). Une fois les atomes pratiquement stoppés, les physiciens ont recours à une deuxième astuce, pour passer une deuxième vitesse de refroidissement. En plaçant les atomes sur le trajet de lasers en sens opposés. Dès qu'un atome va commencer à remuer dans la direction d'une des sources laser, l'effet Doppler va induire une force qui gêne vigoureusement son déplacement. A la manière d'un énorme frottement visqueux. En entourant une nuée d'atomes (quelques centaines de millions) de Césium de six sources lasers, organisées en trois paires opposées, les chercheurs de l'Ecole Normale forment ainsi une sorte de Wmélasse optiqueW (par analogie avec une cuiller coulant lentement dans un pot de miel) dans laquelle les atomes sont englués, pendant des périodes qui peuvent atteindre quelques fractions de secondes (ce qui, à l'échelle atomique, est considérable).
Cette technique du refroidissement laser par effet Doppler a pourtant une limite. Une sorte de mur. Même s'ils sont WengluésW, le recul des atomes sous les coups de boutoir énergétiques du laser qui les bloque, les font tout de même bouger un peu. Et même si ce mouvement résultant est faible, on trouve finalement une sorte de Wtempérature d'équilibreW, qui empêche de repousser les performances beaucoup plus avant.

D'autres propriétés ont donc été appellées à la rescousse pour franchir ce Wmur de températureW, en forçant les atomes à perdre plus souvent de l'énergie qu'ils n'en gagnent. Poétiquement dénommé WSisyphe atomiqueW, cet effet découvert par les chercheurs de l'Ecole Normale a également expliqué des températures anormalement basses qu'observaient les physiciens en cours d'expérience (par rapport à la théorie).

Sans rentrer dans les détails théoriques, citons encore la méthode de la Wrésonance noireW, elle encore découverte à Paris, qui permet, une fois qu'un atome est parvenu à vitesse nulle, de le piéger et de le conserver dans cet état captif très froid, dans un Wpuit de potentielW. Une approche résolument nouvelle, qui devrait encore améliorer les performances réfrigérantes des mélasses optiques. Ce n'est par terminé. Pour doper encore ces dispositifs, on réalise déjà en France des expériences en apesanteur, à bord d'avions comme la Caravelle WZéro GW du Centre National d'Etudes Spatiales. Durant des paraboles de quelques dizaines de secondes, les expériences sont débarassées de la gènante pesanteur.

Toutes ces techniques ont à peine trois ans d'âge et ouvrent des perspectives audacieuses. Les horloges atomiques, où le problème est d'observer des transitions sur des atomes de Césium qu'il s'agit d'immobiliser, pourraient gagner en précision d'un facteur 100. Et l'observation du comportement de la matière à des températures extrêmes devrait offrir aux chercheurs des expériences nouvelles dans le domaine des effets de la mécanique quantique : la matière, pour les physiciens, est à la fois onde et corpuscule. L'intérèt, c'est qu'à très basse température, à vitesse quasi nulle,Wson aspect ondulatoire devrait se manisfester de manière bien plus spectaculaireW, souligne Claude Cohen-Tannoudji.



(1) Le degré Kelvin (K) est équivalent au degré Celsius (C), mais l'échelle est définie en assignant la valeur 273,16 à la température du point triple de l'eau pure, quand la glace, l'eau liquide et la vapeur d'eau sont en équilibre simultané. Grosso modo, le zéro Kelvin correspond à moins 273 dégrés C.

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