jeudi 12 juin 2008

A l'intérieur de Biosphère

octobre 1992
Carnet de bord dans Biosphère 2

Voyage dans un autre monde
Linda Leigh, 40 ans, responsable des écosystèmes terrestres de Biosphère 2 (un monde en miniature, en Arizona)

26 septembre 1991
Le soleil se couche, laissant une chaude lumière m'enrober. Je suis assise au bord des falaises qui surplombent notre océan, et je regarde les deux mondes, celui de l'intérieur et de l'extérieur. Mon premier acte officiel de ces deux années d'enfermement a été de délivrer une longue pluie (par le système d'arrosage) à chaque biome (système écologique et climatique complet, comme la savane, ou la forêt tropicale). Le voyage peut commencer.

8 octobre
Rencontre avec Tony, à la limite du désert, pour discuter comment réveiller la vie dans cet espace, à l'approche de l'hiver. Nous arroserons une fois par semaine, et surveillerons les plantes clefs de ces écosystèmes arides.

15 octobre
Chaque matin, nous lisons avidement les courbes de nitrates dans l'océan et de gaz carbonique dans l'air que crachent les ordinateurs. Aujourd'hui on peut y lire l'impact de la récolte de cacahuètes effectuée hier. A l'entrée de l'hiver, je me sens comme un pélerin abordant un monde inconnu.

12 novembre
Mon quarantième anniversaire. Un groupe de visiteurs me l'a souhaité à travers la vitre. Je n'aurais pas cru que cela puisse me faire aussi chaud au coeur !

15 novembre
Jamais je n'ai regardé les plantes de cette manière. J'essaie sans cesse de deviner comment chaque espèce va réagir aux variations de saison et de teneur en gaz de l'air. C'est une obsession.

12 décembre.
Je fais la cuisine. Mark a pu me ramener des herbes du potager, pour relever les plats. Comme d'habitude, j'entre les quantités de chaque ingrédient dans le système électronique de gestion des régimes alimentaires, qui évalue nos rations de calories, de graisses, de protéines, de sucres, de minéraux, de vitamines.
Un peu plus tard, je fais de l'exercice sur une bicyclette de musculation. Ai-je mangé assez de calories pour pouvoir m'octroyer le plaisir de cet effort sans risquer de perdre encore quelques grammes ?

1-er janvier, le Nouvel An
J'ai communiqué avec des gens tout autour du monde, par l'intermédiaire du système vidéo. Notre petite fête a été arrosée d'alcool de riz fermenté, que nous avons produit nous-mêmes, à partir d'une vieille recette népalaise. En buvant, je ne puis m'empêcher de penser que l'adaptation de la culture du riz de cette technique de fermentation à Biosphère 2 a nécessité quatre bonnes années de patience.

10 janvier
Mesures du taux de gaz carbonique contenu dans le sol de la forêt humide. Relevé d'échantillons et analyses au laboratoire.

7 mars
Je suis effondrée par la mort du galago. Le petit lémurien tropical m'était très cher. Dans biosphère 2 nous constatons la mort des animaux très vite. Et chaque extinction d'espèce est cruellement ressentie, comme elle devrait l'être sur la Terre, Biosphère 1. Au dehors comme ici, à l'intérieur, à part ces espèces vivantes, il n'y a rien. Et chaque disparition est un vrai drame qui nous rapproche du néant.

27 mai
Récoltes de blé, ce matin. Par contre, nous manquons de féculents : patates, riz, plantain... Nous aurons bientôt besoin de place pour planter le sorgho.
J'ai toujours des difficultés avec le système générateur de pluies, du côté de la savane. Je suis contrainte d'arroser à la main les endroits qui restent secs. Harassant. Les caféiers, sur le versant ouest de la montagne, ont refleuri. J'imagine déjà les bols de café au lait que nous allons pouvoir nous offrir...

20 juin
Encore un jour avant de déclencher les pluies d'été. Nous pourrons ainsi collecter des échantillons d'air, de sol, et prendre des photographies avant et après la fin de la dormance. Pour effectuer les comparaisons.

26 septembre
L'anniversaire de notre entrée, le vrai "Nouvel An" de Biosphère 2. Ma première action, en me levant, a été d'offrir une belle pluie, bien dense, à tous les biomes. C'est pour moi une célébration des cycles de la nature, mais aussi de l'esprit humain. L'esprit qui nous conduit à créer, à ne jamais cesser de nous interroger, et à ne jamais laisser tomber la vie.



Nous connaissons plus d'un qui aimerait se transformer en grenouille, pour se glisser dans la forêt de Biosphère 2 et voir de près comment vivent, travaillent et s'entendent les occupants de la galère de verre échouée en plein Arizona.
C'est le 26 septembre 1991 que les huit volontaires ont bouclé la porte de leur vivarium géant pour un voyage immobile de deux années. Depuis, le mystère plane sur l'aventure. Pourtant leur prison est de verre, et des dizaines de milliers de touristes ont pu les observer de l'extérieur. Les communiqués de presse pleuvent, et les conférences ne manquent pas.
Mais cette transparence de façade n'a pas dissipé le malentendu qui s'est installé entre les explorateurs et le reste de la planète.
Présentée comme une affaire scientifique au départ, Biosphère 2 ne s'est pas vraiment donnée les moyens de cette ambition. Toute l'énergie créatrice était en fait investie alors dans la réalisation du vaisseau de verre, de ses écosystèmes, et à l'attraction des hordes touristiques payantes.
L'information préliminaire sur le projet a elle aussi été négligée. Quand on a appris, parfois par des fuites, que les naufragés volontaires étaient partis dans leur île avec des réserves de nourritures pour plusieurs mois, que l'énergie leur était fournie par une centrale électrique, qu'un ventilateur avait été mis en route pour renouveler une partie de l'air, ou encore qu'une Biosphérienne était sortie quelques heures pour aller se faire soigner à l'hôpital voisin, des critiques se sont hâtés de brûler le joli jouet que lui avait fait miroiter le milliardaire....
Est-ce raisonnable ? Il est vrai que les Biosphériens ont un peu trop tendance à escamoter les problèmes matériels, psychologiques, ou relationnels, et ont tendance à servir des réponses évasives à tous ceux qui les interrogent. Agaçant. Certes encore, Biosphère 2 n'est pas une expérience de laboratoire, mais plutôt à un processus d'exploration empirique. Mais de par le monde, un certain nombre de scientifiques, dont le groupe qui vient d'examiner la situation, jugent qu'au prix de quelques modifications, les données que l'on pourra tirer de l'affaire valent la peine d'être étudiées. Quitte à imposer des procédures plus strictes lors des prochaines missions à bord de l'autre Terre.
Pour l'heure, les Biosphériens voient baisser leur taux d'oxygène et augmenter celui du gaz carbonique. Leur stock de nourriture est réduit. Passeront-ils l'hiver à bord ?

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