jeudi 12 juin 2008

Seti pas cher

automne 93

SETI
Dans son bureau qui joue les phares et surplombe un campus de Berkeley immergé dans les arbres, Stuart Bowyer déambule nerveusement. Directeur du Centre pour l'astrophysique en ultra-violets extrèmes, et père comblé d'un satellite qui récolte en ce moment des données sur des milliers d'étoiles et de galaxies, il commente la lecture d'un article paru dans la presse locale après l'annonce de sa "découverte". Un "papier" qui laisse carrément penser que la localisation de la lointaine patrie d'E.T. est réalisée...

"Non, non, nous n'avons rien trouvé, nos signaux ne sont que des candidats... Nous avons identifié cent soixante quatre signaux puissants et inconnus, qui ne correspondent pas à des étoiles répertoriées, et qu'il va nous falloir maintenant étudier, vérifier. Ils sont probablement d'origine naturelle, ou dus à des interférences, je ne crois pas un instant que nous tenions là un signal intelligent..."

Avec de petites lunettes que l'on devine vite lancée sur le nez chaque matin, le longiligne professeur a tout du scientifique plus à l'aise dans son laboratoire qu'à l'air libre, face aux turpitudes du monde des Terriens... Peut-être est-ce pour cela qu'il traverse le campus comme une fusée, au volant de sa méchante voiture de sport rouge ?

Mais pourquoi diable un "prof" renommé de Berkeley se met-il à la pêche aux Extra-Terrestres ?

"Il faut prendre des risques, faire du SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), chercher à détecter une autre forme d'intelligence, qui j'en suis convaincu, existe, c'est notre devoir...", enchaîne Stuart, en écho à notre étonnement.
Depuis trente années, dans la foulée de Frank Drake le visionnaire, certains astronomes ornent les radio-télescopes de circuits étranges, des appareils de détection de signaux radio "artificiels". Des engins capables de différencier le vacarme "naturel" d'une étoile et celui, bien différent, d'un paysage audiovisuel à la sauce E.T. C'est l'âme même du "SETI" : un mélange d'informatique (reconnaissance du signal) et de radio (détection) chargé de déceler une poussière d'aiguille dans le gouffre du cosmos. Imaginez : par une belle nuit, l'oeil humain capte la lumière émise par quelques 3.000 étoiles. Pour avoir une idée du nombre d'étoiles présentes dans notre seule galaxie, il faut tenter de se représenter, derrière chacun de ces 3.000 points, quelques cent millions d'autres astres, invisibles car trop éloignés ! Et ce n'est là que le début de l'infernale multiplication : on estime à 20 milliards le nombre de telles galaxies présentes dans l'univers...

Face à cet infini atterrant, l'amélioration des ordinateurs a peu à peu redonné le moral aux traqueurs d'E.T.. Et il y eut même un joli feu d'artifice médiatique, le 12 octobre de l'année dernière : Avec la complicité du 500-ème anniversaire du débarquement de l'Amiral Colomb, la NASA haussait d'un ton son programme SETI, en mettant en route son MCSA (Multi Channel Spectrum Analyser). Ce gros ordinateur consacré à la détection de signaux radio-électriques non naturels, était relié à la plus sensible des oreilles de la planète : le télescope géant d'Arecibo, sept hectares de grillage d'aluminium tendus dans une incroyable cuvette naturelle, au coeur de l'île de Porto-Rico. Un couple 10.000 fois plus performant que tout ce qui avait été mis en place jusque-là...

"Le problème, c'est le temps. On ne dispose en tout que de cinq pour cent du temps d'observation d'Arecibo pour faire du SETI, ce qui ne permettra en dix ans d'écouter que dans la direction de huit cent étoiles", constate Stuart Bowyer dans un soupir.
D'où une autre idée : mettre au point de petits ordinateurs, ultra-rapides, capables de scruter des millions de fréquences, à installer derrière plusieurs gros radiotélescope de la planète. Le matériel est suffisamment transparent et léger pour pouvoir être placé derrière les expériences classiques des astronomes, et travailler en permanence. Finie, la bagarre pour obtenir des créneaux d'observation. Le Serendip 3, la machine mise au point à Berkeley par Chuck Donelli et Dan Werthimer est une petite merveille d'électronique que n'importe qu'elle autre équipe, travaillant sur les énergies des galaxies ou les jets de matière peut accepter d'héberger, et du coup, gaver de données vingt quatre heures par jour !

Résultat : en quatorze mois de travail trente millions de milliards de données ont été disséquées par ces "Moulinettes" électroniques, et cent soixante quatre signaux "anormaux" ont été repérés.

AJOUTS
Sur la carte du ciel, celle que tiennent à jour les ordinateurs du laboratoire de Berkeley, les signaux suspects forment un mini-univers de points rouges. Des îles perdues dans le silence du cosmos, retenues par la trieuse infernale, parce que leur signal était "anormal". Généralement trop puissant pour cette partie du ciel, compte tenu de ce que laissent supposer les connaissances du ciel.

"Mais vous savez, on peut très bien faire d'autres découvertes", lâche Dan Werthimer.
"Cette électronique ne coûte pas très cher, et on peut s'étonner que l'on aie pas mis systématiquement des circuits de ce type derrière chaque télescope", commente un autre astronome.
Il faut se souvenir que la supernova du siècle, observée le 24 février 1987 par Ian Shelton, a été découverte à l'occasion d'un travail que la plupart des astronomes professionnels répugnent à faire : la calibration d'un télescope, qui consiste à enregistre l'éclat de quelques étoiles, pour construire des références de travail. Fastidieux...
La machine à traquer E.T. serait-elle aussi une machine à balayer les galaxies et à courir la découverte astronomique ?... Stuart serait un cachotier malicieux ?
D'ici un an, le nouveau bébé électronique de Dan Werthimer, Serendip 4 offrira au labo de changer de registre, avec une vitesse de traitement monstrueuse, comparable à celle d'une batterie de cinquante ordinateurs géants Cray 2.
A la différence que la plaque d'électronique ne saura rien faire d'autre que de sonder 140 millions de fréquences chaque seconde et demie !
Sur l'écran de contrôle, les points rouges vont croître et se multiplier.
Le rêve peut-il habiter dans des plaques d'électronique à l'affût ?

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