mardi 3 juin 2008

Alerte aux abeilles tueuses

Ces insectes venus d'ailleurs
Septembre 1990


Aux Etats-Unis, cela fait plusieurs années que tout le monde se prépare à la grande confrontation. Celle contre les "abeilles tueuses". Pistées depuis leur débarquement en Amérique du sud et les débuts de leur progression vers le nord, les redoutables immigrantes africaines font trembler les populations. Leur nom, à vrai dire, suffit. Pour des millions d'Américains, ce serait là l'immersion brutale dans un scénario de film d'horreur, du style "Les abeilles attaquent".

Qualifiée volontiers de "très agressive", Apis Mellifica scutella sévit depuis une trentaine d'années en Amérique du Sud et en Amérique centrale, depuis l'évasion en 1957 de 26 reines en observation dans une enceinte d'aclimatation brésilienne. Destinée à être simplement testée en laboratoire, pour renforcer les espèces européennes un peu paresseuses et peu productrices de miel sous les tropiques, cette africaine s'est répandue comme une trainée de poudre. Progressant de 300 à 500 km par an, elle a envahit tout le Brésil, colonisé la majeure partie de l'Amérique du Sud et de l'Amérique Centrale. Et aujourd'hui, elle n'est plus qu'à quelques 250 kms de la frontière du Texas.

Aux Etats-Unis, un véritable plan de lutte a été mis en place. Dès 1972, l'Académie des Sciences s'était intéressée au sujet et avait alarmé le public, qui doit se méfier de cette abeille très susceptible, mais aussi les apiculteurs, dont les ruches sont purement et simplement menacées de colonisation. Sur le front de la lutte, pour reconnaître une "tueuse" à plusieurs centaines de mètres de distance, les ingénieurs ont mis au point des systèmes informatiques de reconnaissance de battements des ailes, mais ils ont aussi demandé à l'armée de leur donner accès à des radars extrêmement précis développés dans le cadre de l'initiative de défense stratégique, la fameuse "Guerre des Etoiles", pour suivre l'évolution des essaims et pouvoir reconnaître ceux qui sont des "tueurs".

Mais au fait, ces abeilles sont-elles vraiment des tueuses ?
"Non, simplement, elles possèdent un comportement défensif très développé et réagissent plus vite, avec davantage d'énergie à tout ce qu'elles interprètent comme une agression", explique Bernard Vaissière, chargé de recherche à l'Institut National de la Recherche Agronomique. Pour ce spécialiste qui a passé huit années à étudier ces hyménoptères au Texas, elles ne méritent pas vraiment leur très médiatique qualificatif de "tueuses".

"Effectivement il y a un problème. Il y a eu un congrès en 1988 qui a réunit des scientifiques du monde entier sur le sujet, et chaque mois un bulletin donne aux Etats-Unis l'état de l'avancée géographique des abeilles", poursuit le chercheur.

Même si "scientifiquement " elle sont simplement considérées comme plus susceptibles et difficiles que les autres, les abeilles d'origine africaine provoquent une véritable panique aux Etats-Unis. Les diplômés qui sortent des universités ne sont pas très chauds pour aller s'établir au Texas, près du "front" de leur avancée. Et dès qu'un essaim de tueuses est découvert , après un transport de reine par avion ou par bateau en provenance du sud, l'alerte générale est déclenchée. En 1985, la découverte de la petite abeille au nord de Los Angeles a démarré une véritable guerre : une force spéciale a été crée, 1.2000 km carrés de terrain placés en quarantaine, toutes les ruches du district détruite, ainsi que la plupart des essaims sauvages dans un rayon de 80 km.

Pourquoi une telle panique ? Il faut dire que les histoires dramatiques, comme celle qui relate l'attaque de Robora, en Bolivie, où deux personnes sont mortes après des piqûres d'abeilles, précédent les essaims et énervent les foules.

Mais le véritable danger, pour le sud des Etats-Unis est surtout économique. Pour les apiculteurs, bien sûr, dont les ruches colonisées (par mariage génétique ou pure invasion) sont beaucoup plus difficiles à exploiter en raison de l'agressivité ambiante : on estime que les africaines réagissent trois plus vite à l'intervention humaine, et piquent dix fois plus, tout en se calmant très difficilement (elles peuvent rester excitées trente minutes, contre trois en moyenne pour une abeille tranquille).
Mais le véritable drame est celui qui guette l'agriculture. La plus grande part de la productions fruitière est au Texas pollenisée par l'abeille domestique. Une baisse de rendement de 1 % seulement, due à la prépondérance d'une abeille plus récalcitrante à ce genre de coopération , signifierait une perte sèche de 50 millions de dollars par an pour l'agriculture.

Autre fléau, ayant cette fois voyagé en sens contraire, la lucilie bouchère. Et le mot de "tueuse" parait cette fois plus approprié. Affamée de chair fraîche pour assurer sa reproduction la bouchère est une mouche répandue en Amérique, qui vient d'être détectée pour la première fois en Afrique. L'ennemie publique de tous les animaux à sang chaud des zones tropicales américaines, de l'Argentine au Texas, vient en effet de franchir l'Atlantique et de mettre le pied en Lybie. Une découverte faite par hasard, au début de 1988, et qui s'explique probablement par un passage clandestin, à la faveur d'une cargaison de viande ou de bétail sur pied entre les deux continents.

Placardé sur les murs de Tripoli, le portrait robot de " Cochliomyia hominivorax" est facile à reconstituer : un corps bleu-vert, des yeux rouges, un thorax barré de trois bandes sombres et une taille imposante de 1 à 2 cm en moyenne.
Son mode de reproduction est particulièrement efficace et meurtrier : la femelle fécondée, qui se nourrissait jusque-là de nectar de fleurs, part soudainement à la recherche d'un animal écorché, d'un nombril mal refermé, d'une plaie pour y pondre et déposer quelque milliers d'oeufs. Une fois ceux-ci éclos quelques heures plus tard, des armées de larves affamées dévorent l'animal sur pied, s'enfoncent dans ses chairs agrandissant les plaies. Un festin macabre qui attire d'autres pondeuses. Pour le boeuf, le chameau, le mouton, c'est l'horreur qui commence. Suivra l'infection, et à terme, la mort.

Atteinte la première, la Lybie a accusé cet été les Etats-Unis de lui avoir expédié l'horrible bestiole à dessein, afin que les hardes de parasites anéantissent son cheptel. Cette attaque de Kadhafi ne fait pas état de l'aide qu'avait déjà décidé Washington en expédiant à Tripoli ses meilleurs experts sur le sujet, rompant l'embargo décrété depuis 1984 à l'égard de la Lybie.
Il faut dire qu'il y a urgence pour le cheptel. Ce pays pourrait très vite devenir la tête de pont de la bouchère en Afrique. Elle pourrait ensuite s'attaquer à tout le bassin méditerranéen, y compris au sud de la France.

Déjà plusieurs milliers de têtes de bétail ont fait les frais de l'invasion. Le remède ? Le seul vraiment efficace passe par le largage dans le milieu naturel de myriades de mâles stérilisés par traitement radioactif. Largués d'avion, aidés par des insecticides, ces mouches "inutiles" peuvent très vite limiter les dégâts en saturant les femelles. A condition d'agir massivement, reconnait la FAO (organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture). Tout le problème, c'est que cette solution est coûteuse, et que le monde a en ce moment d'autres préoccupations qu'une mouche carnivore.
Sur le front des invasions sahéliennes, tout ne va pourtant pas si mal. Par exemple les criquets, l'un des fléaux les plus redoutables d'Afrique et dont les ravages avaient été considérables ces dernières années, entre 1987 et 1989, ont été stoppés.

La prolifération a été enrayée cette année au prix d'une lutte internationale acharnée sur toute la zone, depuis le Golfe persique jusqu'aux rivages de l'Atlantique et de la Méditerranée. Mais les Africains connaissent bien les criquets. Il savent que dans quelques années, les nuages riches de quelques dizaines de millions d'insectes réapparaîtront. Des essaims fabuleux, qui se forment quand la densité des criquets présents sur un même territoire dépasse un certain seuil. Des nuées de solitaires se transforment alors en redoutables bandes de "pèlerins" pouvant atteindre trois mille mètres d'altitude en vol et, à la faveur de vents favorables, aller se poser aux Caraïbes

Coup de chance pour les îles : elles sont trop humides pour ces gloutons, capables de dévorer chaque jour l'équivalent de leur poids de végétaux. Quand on sait qu'un essaim peut "peser" 100 tonnes !

Plus près de nous, en France, l'hiver clément et l'été chaud ont été particulièrement propices à quelques spectaculaires pullulations. Une marée de milliards de punaises a ainsi déferlé sur Mernel, en Ile et Vilaine le 13 septembre dernier. "Il y en avait partout, cela grouillait dans toute la maison, ils s'infiltrent sous les portes, et j'en ai trouvé jusque dans mon lit", rapporte Mme Amélie Coudrais. Les légions d'insectes gris-marron, avec des taches blanches sur les ailes ont cependant disparues au bout de quelques jours : pas assez de nourriture disponible pour toutes ces bouches.
Les scientifiques connaissent bien ce genre de pullulation, qui se produit quand les éclosions des oeufs et quand les larves sont remarquablement synchronisées par une météorologie très particulière, ou par une conjonction de facteurs favorables. Ceci dit, on ne sait pas pourquoi ce genre de manifestation ne se produit pas plus abondamment...
Le premier août dernier, un phénomène analogue s'était produit à Gy les Nonanis, près de Montargis (Loiret), mais cette fois c'étaient des petites araignées d'un centimètre qui recouvraient le sol et les murs d'un moelleux tapis. Leur cycle de vie très court en a débarrassé les habitants en quelques jours.
De ce point de vue, vivre à Venise n'a pas que des avantages. Dans la célèbre lagune particulièrement polluée et saturée de nitrates et de déchets organiques, des algues pullulent tous les étés. des végétaux qui nourrissent à leur tour des nuées de mouches capables de transformer la polychromie des palais vénitiens en une sombre tapisserie noire. Le fléau atteint de telles proportions que le train qui dessert la Cité des Doges, sur le continent ne peut parfois plus progresser : ses roues patinent sur une épaisse couche de moucherons écrasés.

Si l'homme est forcé de se battre contre de tels phénomènes ou l'irruption d'espèces dangereuses hors des régions ou elles connaissent des limitations naturelles, par la présence de prédateurs, il est aussi possible de lutter en en opposant un insecte à un autre.

C'est le principe de l'utilisation de coccinelles pour combattre le pucerons, ou la solution que propose la société Bio-Assistance-Forêt de Bugeat, en Corrèze, qui oppose au coléoptère agresseur des épicéas un autre coléoptère, qui s'en prend vigoureusement au premier.

"Le meilleur ennemi de l'insecte, c'est encore l'insecte", note à ce propos Claude Caussanel, directeur du laboratoire d'entomologie au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris.
La nature nous livre de superbes exemple de telles rivalités parmi les 750.000 espèces répertoriées. Des insectes qui ne manquent d'ailleurs pas d'astuces pour s'en prendre à leurs ennemis intimes.

Parmi les plus énigmatiques, le biologiste Rémy Chauvin cite le hyménoptères paralysants. De toutes petites et bien étranges guêpes solitaires, qui pratiquent la chasse pour nourrir des petits qu'elles dissimulent dans des terriers. Pour leur fournir une proie en bon état, une sorte de garde-manger sur pattes, elles paralysent d'autres insectes et les enfouissent dans les terriers. Quand la larve éclôt au fond de son trou, elle se précipite sur la proie, et y pénètre par le trou de la piqûre paralysante infligée par une mère qu'elle ne connaîtra jamais.

C'est la localisation de cette pénétration qui permettra à la guêpe, devenue adulte, de trouver à son tour avec précision les ganglions nerveux de l'insecte qu'elle doit parasiter. Au millimètre près, c'est là qu'elle inoculera son venin. Mais le plus étrange, note Chauvin, c'est que cette précision chirurgicale, apprise dans une geste d'enfance, la guêpe devrait normalement l'oublier. Au moment de la métamorphose de la larve en insecte adulte, tout le corps se liquéfie, y compris le cerveau. Ou va donc se cacher le savoir faire acquis au fond du terrier par une larve dévorant sa première proie ? Terrifiants ou fascinants, les insectes ont décidément bien des secrets à nous livrer encore...

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