jeudi 12 juin 2008

T'as quel âge, l'univers ?

Big Bang 
mai 1992

Avez-vous remarqué ? Les galaxies continuent de ronronner, la lune de nous narguer, et le soleil de se coucher à l'heure. Comme si un petit satellite de la NASA, besognant depuis plus de deux ans à traquer dans l'ombre du cosmos les séquelles du grand boum n'avait pas mis l'autre semaine le petit monde de l'astronomie en émoi. "Ouf", a-t-on entendu, dans un colloque du côté de Washington. C'est qu'après plus de deux ans, le satellite COBE qui s'obstinait à ne rien déceler, a enfin bien voulu, quelques règlages aidant, livrer aux scientifiques le portrait robot qu'ils attendaient de l'univers . "Dessine nous le big bang", lui demandaient-ils depuis 1989, à la manière du Petit Prince s'obsédant d'un mouton. Et voilà. Ils sont comblés. Le rayonnement résiduel, très faible mais omniprésent dans le cosmos, une des traces les plus tangibles du fameux big bang par lequel notre monde a commencé son histoire, n'est plus un vilain fond gris. Depuis quelques semaines il dessine de jolis nuages roses. C'est tout ?

"C'est énorme, estime George Smoot, astrophysicien à Berkeley. Si vous êtes croyant, c'est comme regarder Dieu en face". "C'est la découverte du siècle, peut-être de tous les temps", annonce pour sa part le célèbre théoricien Stephen Hawking, de Cambridge, en Grande-Bretagne.

Commentaire inhabituel, pour un homme respecté, immobilisé dans sa chaise par une redoutable maladie nerveuse et d'habitude peu enclin à dégainer le superlatif. "Cela vaudra sûrement aux découvreurs le prix Nobel", assène-t-il.
Vrai, Hawking et ses confrères théoriciens ont quelques raisons de s'égosiller de bonheur. Ce que le satellite de la NASA vient d'appercevoir, ces irrégularités de la rumeur du big bang, quelques chercheurs les avaient déjà reniflées. Dans leurs équations. Et depuis le grand Pythagore, en physique, il n'existe pas meilleure confirmation pour une théorie que de constater de visu des faits, jusque-là inconnus, mais frappés en chifres d'or par la seule astuce du calcul. Comme les chefs de gare qui aiment les trains à l'heure, les découvreurs ne respirent que pour la géniale trouvaille attendue, clef de voûte de leur cathédrale théorique. Imaginez l'électrochoc quand la découverte en question porte sur la formation de l'Univers soi-même.

Mais, dira-t-on, émise au début de ce siècle, la thèse du big bang a déjà quelques décennies de vol à son compteur. Et ce concept a même été passablement galvaudé lors de sa diffusion vers le public, puisqu'aujourd'hui, on nous sert même du big bang en chanson (Julien Clerc). Alors, quoi de neuf sous le soleil ?

Ce qui se chuchotait à peine, ces dernières années, c'est que la thèse du grand boum initial, si elle était encore dominante, commençait à essuyer de redoutables tirs de barrage. Nombre d'astronomes relevaient dans leurs filets des observations qui cadraient mal avec la théorie reine. Et parmi les épines les plus profondément fichées dans la semelle du big bang, trônait l'aspect désespérement homogène de la rumeur de la création du monde, ce fameux rayonnement fossile.

Comment, en effet, expliquer que des galaxies aient pu grapiller de la matière pour se former, alors que tout ce qu'on mesurait jusqu'ici suggérait que le grand flash initial avait été parfaitement lisse et homogène ? C'est comme si des grumeaux se formaient tout d'un coup, sans raison, dans une soupe jusque-là bien onctueuse. Impossible. Il devait déjà y avoir dans ce potage-là des irrégularités, de minuscules graines de grumeaux, susurraient les équations têtues. Les dents des fourchettes sont trop écartées, les instruments de mesure trop peu sensibles, expliquaient les astronomes. A moins que la théorie du big-bang soit imparfaite, risquaient d'impertinents chercheurs, qui déjà s'attablaient pour écrire d'autres biographies à notre monde.

Ce match des théoriciens est aujourd'hui réglé. En mesurant dans l'espace ce qu'aucun instrument n'avait encore détecté depuis la Terre, COBE a déclaré le big boum vainqueur par K.O. "Nous sommes morts", a même dit, bon joueur, l'un des opposants. Le halo résiduel du grand flash, vieux de 15 milliards d'années, n'est pas homogène du tout, a déclaré ce robot, promu juge de paix intersidéral. Ce bruit porte bien en lui les marques des irrégularités qui donnèrent naissance aux amas de matière, aux galaxies, aux étoiles, aux planètes, à la vie, et à l'homme. cela peut paraitre rassurant. Mais à propos, d'où viennent ces rides, comment sont-elles apparues, pourquoi ?

On ne vous l'avait pas dit ? La quète du Saint Graal astrophysique continue, plus que jamais. (voir les réponses de Trin h Xuan Thuan). Sur des raidillons de l'espace-temps qui prennent plus que jamais l'allure d'un grand jeu de l'oie cosmique : quand on croit toucher le but, on se retrouve à la case départ, ou presque !



La mélodie secrète
de Trinh Xuan Thuan

La découverte de COBE, c'est un choc ?
C'est une observation formidable, extraordinaire, qui apporte une confirmation très forte à la théorie du big bang, car elle vient compléter nos informations sur l'étape de formation des galaxies, qui a conditionné celle des planètes, des hommes. Si l'univers avait été homogène à ce moment là, nous ne serions pas là pour en parler.
Nous avons maintenant une "image" de ce qu'était l'univers 300.000 ans après sa création. C'est la plus vieille que nous puissions obtenir, car avant ces 300.000 ans, l'univers nous est dissimulé par un mur opaque. Les électrons étaient libres et entravaient le parcours des photons, les particules de la lumière

Cette découverte affecte-t-elle vos travaux ?
Elle concerne tous les astronomes, mais il reste beaucoup d'autres questions. Comme celle de la masse manquante. Si on veut savoir ce que deviendra l'univers, s'il poursuivra son expansion sur la lancée du big bang, ou bien s'il s'arrètera à un moment pour s'effondrer sur lui même (grand effondrement ou big crunch), il faut déterminer sa masse. Mais nous avons là un problème. La masse visible de l'univers (les étoiles et les galaxies) ne représente qu'un pour cent de la "masse critique" nécéssaire pour stopper l'expansion de l'univers. En extrapolant la masse invisible dont en sent les effets sur les mouvements étoiles et les galaxies, on arrive à 10 % du total nécéssaire. Il nous manque donc aujourd'hui 90 % de la masse de l'univers pour parvenir à la masse critique. Où est-elle ? Est-elle constituée de matière très difficile à détecter, comme les neutrinos et d'autres particules ? Ou alors organisée dans des corps célestes invisibles, comme les trous noirs ou les naines brunes, ces étoiles manquées ? Parce que nous ne connaissons pas la nature de cette masse manquante, nous ne savons pas comment sont nées les galaxies, ni comment elles ont constitué cette fantastique tapisserie cosmique.

Le big bang est-il le bon scénario ?
Jusqu'à nouvel ordre, c'est celui qui décrit le mieux l'univers avec les informations dont nous disposons actuellement. Mais tout peut être mis en question si une nouvelle observation vient contredire le big bang.
Comme il y a eu jadis les univers magiquee, mystique, mathématique, géocentrique, il y aura, dans le futur, une longue série d'autres univers qui se rapprocheront toujours davantage du véritable Univers. Mais je pense que nous ne l'atteindrons jamais.
Cela dit, tout nouveau modèle devra intégrer les éléments du big bang, comme la physique d'Einstein a incorporé les acquis précédents de celle de Newton.

Alors COBE n'a pas vu la trace de la main de Dieu ?
Pour donner un sens à l'Univers, il faut qu'il y ait une conscience capable d'apréhender sa beauté et son harmonie. Pas forcément notre forme de conscience d'ailleurs. C'est ma conviction. Les réglages de cet Univers sont à mes yeux trop fins pour être les résultats du seul hasard. Mais je ne pense pas que nous accédions un jour au secret de la vraie nature de l'Univers. La mélodie secrète des choses nous restera à jamais dissimulée, même si nous pouvons nous en rapprocher de plus en plus par différents moyens.

Trinh Xuan Thuan, astrophysicien à l'université de Virginie, est l'auteur de "La mélodie secrète", (Ed Fayard) et livre son point de vue dans "Un astrophysicien : entretiens avec Jacques Vauthier "(Ed Beauchêne-Fayard).



big bang : une théorie à vertiges
En un instant tellement bref qu'il est impossible de le décompter, fut le Tout, partout. Durant ce frémissement, qu'étaient les forces qui gouvernent l'énergie et la matière ? Nul ne le sait. Entre zéro et zéro secondes et 43 chiffres après la virgule, notre physique est aveugle. Sur les dessins, par commodité, on représente le "gros boum" comme un point qui explose, poussant vers un futur joliment coloré et la droite de la page, l'organisation de la matière et du monde. Une image qui n'a, en fait, pas grand chose à voir avec le premier vagissement de notre Univers. Les équations le suggèrent : le big bang a eu lieu, partout, simultanément, en tout point d'un univers qui était déjà immense et Tout, puisqu'en dehors de lui, rien n'existait...
"Rien a voir avec une explosion... On ne sait pas si l'univers était fini ou infini, mais peut importe, la température dépassait cent milliards de degrés", explique le prix Nobel de physique Steven Weinberg, dans "Les trois premières minutes de l'univers" (Seuil). Peu à peu, ce halo d'énergie s'est refroidi, permettant aux particules, aux forces, à la matière d'apparaître. Nos meilleurs télescopes, ne peuvent guère nous aider à contempler cela. En contemplant au loin, comme COBE, ces images qui nous parviennent du passé à la vitesse de la lumière, ils ne pourront jamais voir au-delà du 300.000 anniversaire du monde. Avant, les électrons, libres, empêchaient la lumière, les photons, de se propager. Il n'existe pas d'image de ce monde-là.
Y-a-t-il vraiment eu un moment zéro avant lequel il n'existait rien, s'interroge Hawking dans son best-seller, "Une brève histoire du temps" (Flammarion). Difficile à nos esprits habitués à décompter le temps, à voir naître et mourir des êtres, d'échaffauder une vision d'une histoire sans point originel. Les mathématiques le peuvent, avec des notions de limites. Tentons un exemple grossier. L'horizon fuit devant nos yeux au fur et à mesure que nous montons les marches de la tour Eiffel. Très vite, on s'apperçoit que pour voir un peu plus loin, par-delà les collines de St Cloud, il faut monter bien plus haut qu'au début. Extrapolons : si l'on utilisait tous les matériaux disponibles sur cette Terre, pour bâtir une tour immense, on ne verrait guère plus loin que l'horizon situé sur le rayon central de la planète. En tous cas, on ne verrait jamais l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Et s'il en était ainsi pour notre Univers ? Un monde en géométrie sphérique, dont l'horizon est le brouillard du big bang ?
Dans cette perspective, Hawking imagine un univers sans début et sans fin, en perpétuelle croissance puis effondrement, dont aucun Dieu n'aurait eu à choisir les lois. D'autres physiciens envisagent encore que le début de notre univers correspondrait à la formation d'un trou noir, dans un autre monde. Enfin des astronomes comme Trinh Xuan Thuan demeurent persuadés que l'objet de l'univers est l'apparition de la conscience, et que le sens secret du monde échappera toujours à la science. Mystique ou matérialiste, chacun voit donc le big bang à sa porte. Avant un éventuel grand effondrement (big crunch), il reste quelques milliards d'années pour ce débat.

Cobe : le héros des étoiles
Les astronomes sont des gens simples. Depuis Gallilée, tout ce qu'ils réclament, pour explorer le Monde, ce sont des lunettes, des machines. Et avec COBE (Cosmic Background Explorer), c'est un satellite à remonter le temps que les chercheurs du Centre Goddard de la NASA et de Berkeley ont imaginé. Lancé à la fin de 1989, et placé sur orbite à 900 km d'altitude, le satellite est tellement sensible qu'il doit en permanence se réfugier dans l'ombre de la Terre, à l'abri des ardeurs solaires. Dix mille fois plus sensibles que les instruments utilisés jusque là, ses bolomètres (thermomètres de très haute précision) sont capables de mesurer le cent-millonième de degré. Pour cela, ils baignent dans 600 litres d'hélium liquide, à moins 271,2 degrés C. Ce congélateur en orbite compare le rayonnement fossile de l'univers, le même que celui qu'émettrait un corps noir chauffé à 3 degrés K, c'est à dire moins 270 degrés C, dans toutes les directions de l'espace. Cette rumeur radio-électrique, qui nous provient de l'univers quand il avait environ 300.000 de nos années, est la première "image" qui nous est accessible du cosmos. Un bruit de fond qui correspond à la subite apparition de la matière organisée, dans une sorte de flash.



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