vendredi 13 juin 2008

Carpes Koï

1994


"Ce sont des tableaux vivants, et en plus, on peut les aimer. Elles apprennent à te connaître, elles te reconnaissent quand tu marches près du bassin". Avec le lointain et désarmant tutoiement des exilés d'Albion, Peter raconte déjà ses poissons. Et dans le crépuscule de ce chemin creux du bocage normand, ses yeux s'innondent de cette lueur qui sommeille chez tous les rêveurs qui on sacrifié à la passion.
"Tu sais, la carpe Koï, c'est pas très compliqué parce que quand tu commences à te prendre au jeu, tu fais attention l'eau, à la nourriture, et puis tu deviens fou de ces poissons, alors ils sont en pleine santé..."
On approche. Le petit portail s'ouvre, la voiture s'échine sur un gouffre défoncé qui ressembla jadis à un chemin...
Là, le parcours initiatique tourne au surréalisme.
Les roues de la berline patinent dans la boue d'un interminable verger en pente douce. Figure libre et toupie sur gadoue, hurlement de moteur dans la nuit... Voiture repeinte de terre, immobiles sous le crachin, on baisse les bras : "cela ne passera pas..."
Tout le monde se transborde dans une Land Rover d'époque churchilienne, qui elle, démarre bravement et pétarade vers une petite grange en moêllons.
"O.K., nous y sommes..."
Quelques instant plus tard, dans une barque soigneusement isolée, sous un néon de fortune, deux cent fuseaux bariolés dansent. Une foule bigarrée, aux mouvements hypnotisants..
Dans ce rude écrin de ciment, des carpes Koï, les poissons les plus chers du monde sont venus commencer une autre vie...
Les records des prix, pour les spécimen de concours, sont édifiants... Un million de francs pour une Ogon dorée, couramment plusieurs centaines de milliers de francs pour de belles Asagi (dos bleu et flancs dorés). Mais le sommet, le nec plus ultra reste la Kohaku. Aux seules couleurs nationales rouge et blanche, cette carpe-là vaut trois millions de francs si elle est parfaite : blanc ivoire, taches (hi) rouges très vif, aux dessins réguliers et équilibrés, sans envahir la queue, ni la bouche. Subtilités de l'art : une carpe à défauts ne vaudra rien (hormis l'affection que peut lui porter un aquariophile), ou alors une fortune, si son orginalité esthétique est forte...
Si la seule tache rouge est de forme circulaire, placée sur la tête, en forme de drapeau japonais, c'est une Tancho Kohaku... Le gros lot. Son record officiel est de cinq millions de francs.
"Mais les plus belles ne sont pas connues. Ce sont des géniteurs que les éleveurs gardent au secret, dans des bassins dissimulés dans leurs caves... Pour que l'on ne sache pas ce qu'ils préparent", confie Peter.
Pour l'heure, l'ancien rocker compagnon de scène de Genesis ou de David Bowie reconverti dans l'aquariophilie n'a pas encore importé ce genre de merveilles. Le marché européen n'est pas prêt, et le risque est trop grand. Ici, dans le bassin d'hivernage, les deux cent carpes exilées représentent "seulement" quelques centaines de milliers de francs de chiffre d'affaire.... Du tout venant, qui permettra aux cielnst de Peter de s'initier à l'art de la Koï. Une drogue douce ?
"Les voir et s'en occuper est vraiment un grand plaisir. J'en connais, à Amsterdam, qui ont fait construire leur maison sur un bassin. Tu déjeunes, et des Koïs viennent voir tes pieds, à travers un plancher vitré... Paradoxalement, ces prix sont inférieurs à ce qui se pratique au Japon, car j'arrive à négocier sur les prix à l'export. Là-bas, le marché est tenu par les producteurs,...."
Folie et tradition, la carpe Koï, ou Nishikigoi en japonais, est l'un des sommets de la culture du pays du "Chat qui dort". Dans les grands magasins chics de Tokyo, des échoppes de luxe leurs sont consacrées.
Pourtant tout commenca fort banalement, il y a plus de mille ans. La carpe, venue de Caspienne via la Chine était alors destinée à l'assiette. Son élevage, source de revenus, était réservé aux aristocrates et Samouraï. Peu à peu, le poisson de table trouva pourtant sa place dans les mythes japonais. Endurante, courageuse, calme, régissant à la présence humaine, la carpe commune devint vite un symbole, et se retrouva dans le décor des demeures. Elle y symbolisa la majorité des jeunes hommes (tan-go-no-sek-ku).
Connaissant les capacités de patience et d'attachement des japonais aux symboles, on comprend que les hasards de la génétique devinrent des aubaines esthétiques : les mutantes blanches ou rouges, les carpes à dessins colorés furent peu à peu mises de côté, choyées, conservées pour l'ornementation, resélectionnées. Une habitude qui s'installa au siècle dernier et devint culte entre les deux guerres mondiales.
Apparurent alors des élevages intensifs, des armées de trieurs chargés de repérer dans les 400.000 alevins d'une pondeuse lesquels seront suceptibles de devenir de superbes Koï... Sur les 10.000 jeunes qui sortiront de ce tri, un millier environ connaitront les aquariums. Mais le grand jeu, le pari suprême, c'est évidemment de pouvoir reconnaître chez un jeune les capacités à devenir, adulte, un tableau. Une lecture de l'avenir aui est en soi un art. Un vilain petit canard peut se métamorphoser en une bête de concours hors de prix, tandis qu'une charmante jeune carpette répondant à tous les critères de beauté peut les voir s'évanouir avec la croissance...
A ce petit exercice, des fortunes se sont construites, et beaucoup de spéculateurs se sont essouflés. Le coup d'oeil valant ici des millions de francs... Les secrets de fabrication également : la manière de soigner les carpes, de traiter leur eau, d'y ajouter des minéraux, de modifier l'alimentation au gré des saisons peut modfier l'aspect extérieur des poissons.
Alors le secret rôde autour des bassins.
Audrey Baschet, secrétaire du Koï Club de France, et très dynamique associée de Peter dans l'activité d'importation et d'élevage des carpes se souvient ainsi d'un client important, surpris en train de fouiner dans les documents de Peter à la recherche de quelques recettes confidentielles...
"Mais ce qui est important avec le Koï, c'est de se faire plaisir... Comme ça tu n'es pas déçu, et tu calmes ta vie....", ajoute Peter, si loin aujourd'hui des rumeurs de la pop music.

1 commentaire:

Modern Greetings a dit…

Koi is one of my favorite fish I every had. Koi is a nice pet.