mardi 3 juin 2008

Alliages

Les promesses des alliages contre nature
Vévrier 1991

Les matériaux sont plus qu'à la mode, ils traversent une authentique révolution. Insidieusement, les objets les plus ordinaires de notre environnement changent. Avec des enjeux industriels qui s'expriment en milliards de francs d'économies ou de plus-value. Qui s'aperçoit aujourd'hui que dans un radiateur automobile l'épaisseur des feuillards de cuivre a été divisée par deux en dix ans ? Que l'emploi d'aluminiums plus élaborés pour nos chères voitures a permis de réduire l'épaisseur de ce métal de 12 à 8 mm en moins de dix ans ?

Dans cet étrange devenir des matériaux, "la révolution technologique la plus importante de cette décennie", souligne Gérard Beck, responsable du pôle matériaux du CNRS, les alliages métalliques sont peut-être les plus étonnants. Voilà nos traditionnels métaux, que la main de l'homme travaille au corps depuis des millénaires, qui se retrouvent depuis quelques années à la pointe de l'actualité scientifique et industrielle.

On croyait jusqu'ici que les métaux étaient sages. Entendez par là que leur sructure, de type cristalline était immuable, du moins prévisible. Pensez-vous ! En les soumettant à des variations de températures très brutales, on réussit à en figer les atomes dans un désordre qui s'apparente à celui des liquides ! Et du coup, dans ces "verres métalliques", les propriétés des alliages sont transformées, ils acquièrent des capacités magnétiques meilleures, sont plus résistants, et plus souples. Des performances délicates à atteindre, puisqu'il s'agit tout de même de mettre en oeuvre des vitesses de refroidissement de l'ordre du million de degrés à la seconde, pour que la structure demeure désorganisée ! Saint-Gobain fabrique de cette manière des petites fibres de fonte amorphe, ultra-résistantes, que l'on injecte avec du béton dans les tuyauteries d'installations industrielles ou d'immeubles, pour les rénover.

Les alliages métalliques de nouvelle génération, il y en a de toutes sortes. D'abord les extrèmes, ceux que l'on tente de réaliser contre nature, par exemple dans les laboratoires des stations orbitales, dans l'espace, en se débarrassant des contraintes de la pesanteur. Comme lorsqu'il s'agit d'associer le zinc et le plomb, de densités différentes. Mais aujourd'hui, un alliage c'est aussi l'association d'un métal avec une couche de surface, souvent très mince, qui va modifier ses propriétés. Un "traitement de surface" qui peut être obtenu au moyen d'un bombardement par d'autres atomes. Une technique qui consiste à utiliser la violence, à implanter de force dans la structure du métal un élément étranger.

Une recette qui parait simple. On fabrique des ions, des atomes dont la charge électrique est modifiée, et on les accélère jusqu'à atteindre des milliers de kilomètres par seconde. Transformés en "micro-bombes" les ions sont projetés, injectés entre les atomes du métal récepteur. L'alliage nouveau est réalisé par implantation ionique.
Ce "viol" de la structure du métal ne se pratique toutefois que sur des épaisseurs limitées, de l'ordre de quelques dixièmes de microns (millionième de mètre). Mais les sorciers des matériaux en dégagent déjà de beaux atouts. "Sur des aciers utilisés dans des engrenages, des pignons de boîtes de vitesse, on peut gagner en longévité, multiplier par deux ou par trois la vie d'une pièce", explique Jean-Claude Desoyer, directeur du laboratoire de métallurgie physique de l'université de Poitiers.
En intensifiant suffisamment les bombardements, les chercheurs parviennent même à désorganiser suffisamment le métal récepteur pour lui imposer une mince couche de structure amorphe, aux propriétés étonnantes.

"Par l'implantation, on bouscule et on brise l'organisation des atomes. On peut ainsi arriver à l'état amorphe, qui confère des propriétés de résistances à l'usure, à la corrosion. On pourra aussi mieux plier ces alliages, ce qui permet de réaliser industriellement des cannes à pêches métalliques", précise Jacques Delafond, le responsable des recherches sur l'implantation ionique à Poitiers. Des aciers "implantés" avec de l'azote voient aussi leur durée de vie augmenter considérablement. Un exemple : les lames de rasoir. Avec un peu d'azote en surface, le tranchant est garanti dix fois plus longtemps.
Une autre direction séduisante est celle de la métallurgie des poudres. L'alliage est formé à partir de poudres métalliques diverses, que l'on comprime fortement à chaud. Une démarche qui conduit à des propriétés inconnues, en permettant, là encore la réalisation d'alliages contre nature, mais cette fois dans toute la masse d'une pièce. On peut associer des métaux avec des céramiques, chercher à combiner des métaux divers en fonctions des propriétés finales que l'on recherche. Un exemple : la réalisation de contacts électriques très résistants à l'usure, au moyen d'un alliage Cuivre-Aluminium-Oxygène, qui possède à la fois une bonne résistance mécanique et une bonne conductivité électrique. Une invention du laboratoire de Poitiers, protégée par un brevet international. A la SOCHATA-SNECMA de Chatellerault, ce sont les réacteurs que l'on régénère, en projetant à chaud des poudres métalliques sur les aubes abîmées des réacteurs.

A propos de moteurs : le réacteur M88 qui équipera le futur chasseur Rafale de Dassault pèsera 500 kg au lieu des 1.500 du moteur M53 du Mirage 2 000 (1). A performances égales, le secret de cette cure d'amaigrissement est bijou de métallurgie, un "superalliage" à base de Nickel et d'Aluminium, dont la texture même a été orientée à travers diverses opérations, de manière à être la plus efficace et la plus résistante possible. Huit équipes de recherche ont collaboré pour parvenir à ce superbe résultat. On entre ici dans le domaine des alliages conçus et "tramés" au niveau atomique en fonction de leur projet d'utilisation. Non seulement les ingénieurs ont ainsi gagné 60 degrés de température de fonctionnement du moteur, ce qui est gage d'efficacité, mais ils ont du même coup réduit le poids ! Mentionnons encore à l'occasion de cette incursion aéronautique les alliages d'aluminium et de lithium, de plus en plus utilisés pour les structures des avions, et qui tiennent tête aux matériaux composites.

Pouvant apparaître a priori comme plus traditionnelle, la technique de l'évaporation de métaux pour former des couches successives, sorte de sandwich, est elle aussi en pleine évolution. Au laboratoire de Métallurgie physique de l'Université Nancy 1 (CNRS), les associations d'un métal et d'un semi-conducteur, d'un métal et d'une terre rare, ou tout simplement de plusieurs métaux sont obtenues en chauffant, dans une enceinte sous vide, deux creusets. Dans chacun d'eux est déposé un produit à évaporer, qui va aller se déposer sur un substrat quand on l'évaporera. Chauffées par bombardement d'électrons, ces creusets façonnent par exemple de futures têtes magnétiques de magnétoscopes, plus efficaces (alliages Fer-Chromes, université d'Orsay), ou des miroirs capables de dévier des rayons X. "Le principe est simple, on tente de marier les métaux en cherchant à concilier les avantages de chacun d'entre eux avec ceux des autres, en empilant de très fines couches alternatives", explique Maurice Gerl, le vice-président de l'Université Nancy 1.

Secret de ces nouveaux alliages : la valeur ajoutée. A tel point que chaque fois qu'une nouvelle méthode d'alliage "intelligent" entre dans l'industrie, les tonnages de matière nécessaire à la fabrication d'un produit diminuent.


(1) Dossier matériaux de "Science et Technologie", numéro 15.

Aucun commentaire: