mardi 5 février 2008

L'intelligence artificielle est-elle possible ?

L'intelligence artificielle tombe-t-elle sous le sens ?
1992

L'intelligence fera-t-elle un jour son nid dans les circuits de silicium des ordinateurs ? Cela fait 35 ans, depuis la naissance du terme "intelligence artificielle" dans le laboratoire américain de Carnergie Tech, que la question est comme affichée sur les frontons des laboratoires de recherche, irritante. Et la réponse est plus que fuyante.
Si certains chercheurs sont convaincus que les machines battront dans un proche avenir les champions d'échecs, et que petit à petit elles grignoteront les domaines de compétence de l'esprit humain, d'autres experts sont plus pessimistes. Ils croient discerner aujourd'hui les indices de la faillite de l'informatique dans sa folle ambition de rivaliser avec notre cerveau. Qui a raison ? Jacques Arsac, professeur à l'université Paris VI, correspondant de l'Académie des Sciences a été le titulaire de la première chaire de programmation créée en France. Pessimiste, il a son intime conviction sur le sujet. Mais il tente de poser le problème sur le fond.


Q. A la lumière des derniers indices disponibles aujourd'hui, peut-on dire si une authentique intelligence artificielle, comparable par ses performances à l'esprit humain, devient imaginable ?

J. A.Le problème de fond, est que la machine n'a pour l'heure pas accès au sens. Elle ne manipule que des termes formels, des images, vides de connatations, d'évocations, de significations. Pour une machine, un arc-en ciel sera définit par d'autres mots, comme polarisation de la lumière, ou image poétique. Moi, à l'audition de ce mot, je ressens fortement cette image poétique, et ma pesrsonne, Jacques Arsac, pense au texte de la Bible, quand les animaux sortent de l'Arche de Noé, et que l'arc-en-ciel est désigné comme le symbole de l'Alliance. C'est ma culture, mes sensatsions. Essayez d'enregistrer toutes les cultures, dans un ordinateur, et plus encore, les sensations !

Q La séparation est définitive ?

J. A. Une telle différence pose une double question : le sens des choses existe-t-il, n'existe-t-il pas ? S'il existe, alors on sait en quoi l'homme et la machine différent, puisque celle-ci n'aura probablement jamais accès au sens. Mais existe-t-il vraiment ?
On le voit, il y a là une première difficulté, et de taille : définir le sens des mots et des choses, afin de pouvoir estimer si un jour les machines le partageront avec nous
Ce n'est pas évident, on est renvoyé à notre vision intime de l'homme. Soit nous sommes des machines biologiques, avec des neurones qui échangent des substances bio-chimiques, comme le perçoit Jean-Pierre Changeux dans "L'homme neuronal". Mais si l'on pense, comme moi, que l'homme est autre chose qu'une simple machine, on peut se dire que jamais une machine ne copiera tout à fait le fonctionnement du cerveau.

Q. Dans la pratique, comment peut-on séparer notre monde, celui du sens de celui, formel, accessible aux ordinateurs ?

J.A. C'est un fait reconnu aujourd'hui, même par les optimistes partisans de l'intelligence artificielle, que l'informatique repose sur les systèmes formels, où ne plane aucun doute sur le sens des choses. On échafaude des théories, on tente de faire entrer du sens dans cet univers formel, par exemple par les "réseaux sémantiques", des dictionnaires de milliers de mots, dans lesquels on établit des liaisons entre les mots. Comme quand on dit que "tigre" et "carnivore" vont ensemble. L'un fait référence à l'autre.
Le linguiste Umberto Eco a étudié ces tentatives dans son ouvrage "Sémiotique et philosophie du langage". Il pense clairement que ce jeu de renvois de mot à mot ne crée aucun sens. Si l'on injecte pas à un moment ou à un autre du sens sur certains mots, on tourne en rond. Admettez que vous ayez un dictionnaire d'un dialecte martien. Vous n'y comprendrez rien si vous n'injectez pas de la signification quelque part, en partagent quelques jours la vie des martiens, ou en sachant que tel mot correspond à tel sens dans votre langue.

Q Pour vous, le sens est une pure création de l'esprit humain. S'il ne peut exister ailleurs, notamment dans les machines ne vaut-il pas mieux arrèter toutes les recherches en intelligence artificielle ?

J A . Non, il faut absolument poursuivre les travaux pour tenter de voir clair dans cette affaire. Actuellement aucune théorie, aucune expérience ne permet de conclure. Dans ces conditions les gens se battent sur leurs croyances, même s'ils ne veulent pas admettre que c'est au niveau de la croyance que cela se passe. Mais c'est là que la quète devient passionnante.
Honnètement, je pense que l'on restera dans l'ambiguité. On aura des exemples, comme des ordinateurs champions d'échecs qui feront dire aux optimistes "vous voyez on va y arriver", mais il restera suffisamment de trous, de zones d'ombre pour que les pessimistes puisse tendre des pièges à l'intelligence des ordinateurs.
Le sens est une espèce de mur dressé sur la route de l'informatique.
C'est peut-être le mur du son, et alors on le passera, c'est peut-être celui de la lumière, pour l'heure ionfranchissable. Peut-être aussi approchera-t-on de ce mur à 99,9 % et il ne restera que quelques poèmes de Rimbaud que l'on ne pourra pas traduire automatiquement en japonais ou alors la plupart des choses complexes resteront inaccessibles aux machines.


Q Dans un domaine précis, comme celui de la traduction, pourra-t-on aller plus loin ?

J A : Il existe de nombreux cas ou l'on peut traduire sans comprendre, c'est une chance. Mais un bon traducteur perçoit le sens d'un texte et dit ce sens dans un autre langue. La bonne traduction est celle qui conserve le sens et les images, pas les structures de la phrase. Alors que faire face à une expression du type "Paul ferme la porte", qui possède déjà trois sens : la fermeture de la porte par Paul, un ordre de fermer la porte, ou d'un Paul qui porterait fermement quelqu'un ?
Quand de Gaulle dit à Alger "Je vous ai compris", on ne sait pas vraiment ce qu'il a voulu dire, et pourtant cela se traduit très facilement pour un ordinateur.
Ou bien l'ordinateur ne pourra jamais faire tout ce que nous faisons, ou bien il y parviendra, et alors le sens est une illusion. C'est imparable. En attendant, les gens choisissent leur camp, en fonctions de leurs croyances.

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