samedi 2 février 2008

Pourquoi le chien aboie

Et si les chiens n'aboyaient pas ?
Patrice Lanoy (2,5 flts)

On n'a jamais vu un loup aboyer. Ni un renard. Comme si les Canidés, la grande famille des chiens, s'étaient interdit cette possibilité dès qu'ils sont sauvages. Surprise, notre ami domestique détient l'exclusivité de l'aboiement. Et même s'il redevient sauvage, comme le Dingo australien, il perd sa voix. Certains on voulu savoir pourquoi, alors que le chien domestique et ses parents sauvages sont de très proches cousins.

"On retrouve des indications d'aboiement de coyote dans la littérature scientifique, mais c'est tellement exceptionnel que le fait est décrit sur des pages entières", souligne Mark Feinstein, du Hampshire College, au Massachusetts. Avec Raymond Coppinger, les scientifiques ont tenté de comprendre ce phénomène, qui amène certains chiens à aboyer jusqu'à sept heures durant (record officiel), ou à pousser plus de 90 aboiements par minute dans la cas du cocker.

C'est tout à fait insupportable aux oreilles de l'homme. Et c'est peut-être là qu'il faut rechercher la solution de l'énigme, estiment les chercheurs. L'aboiement canin se situe quelque part entre le cri de détresse d'un bébé, particulièrement efficace pour se signaler à des oreilles humaines, et le grondement féroce d'un animal sauvage. Autre signal redoutable, spécialement pour nos aïeux des cavernes.

Bien entendu, tous les Canidés ont les moyens physiques de le produire, la meilleure preuve en étant que les louveteaux ou les jeunes coyotes jappent durant leurs premiers mois. Mais par la suite, ce mode d'expression disparait, comme s'il devenait superflu.

Et si l'aboiement, développement du jappement chez le chien adulte, était en fait un pis aller consenti par l'animal à ses besoins de communications avec l'humain ? Une concession dans le processus de domestication, en quelque sorte.
C'est une expérience de Dimitry Beliayev, un chercheur russe, qui a mis les Américains sur cette voie. Sur une vingtaine de générations, en partant de renards sauvages, Beliayev a sélectionné les individus les plus dégourdis, et les a domestiqués peu à peu. Dans le même temps, les renards commencèrent à aboyer...
Le parallèlle avec la domestication du loup et d'autres Canidés est tentant : pour les amadouer, contrôler leur agressivité, nos ancètres auraient développé chez eux la dépendance à la nourriture. Précisément, que fait un chiot pour obtenir la têtée ou un coup de patte maternel pour manger ? Il jappe. L'aboiement serait donc une séquelle très forte du processus de domestication. Encouragé chez le jeune, il a été soutenu chez le chien adulte, habitué à quémander de la nourriture à l'homme. dans le même temps. Cette faculté de communication aura en quelque sorte été perfectionnée par le chien pour augmenter son interaction avec l'homme, et remplir son ventre... Bel effort, qui permet aussi aujourd'hui aux Canidés domestiqués de communiquer entre eux, par-delà de longues distances. Au détriment de nos oreilles.

On retrouve des traces de domestication de chiens 7 millénaires avant Jésus-Christ en Anatolie, et jusqu'à 13.000 ans en Sibérie. A quoi servaient-ils alors ? "Rabateurs et pisteurs de gibier, ils faisaient des auxiliaires de chasse précieux. Mais également omnivores, ils étaient commodes à nourrir, et faisaient de parfaits éboueurs dans les campements", note Jean-Pierre Digard, ethnologue et directeur de recherches au CNRS.

Lévrier de chasse, ou ramasse-tout dans les poubelles antiques, le chien était d'abord utile. Source de nourriture appréciable, sa chair a été visiblement consommée dans l'Europe néolithique et en Amérique pré-colombienne, et plus récemment, en Chine, au Ghana, au Canada, ou en Allemagne (la dernière boucherie canine a fermé ses portes à Münich entre les deux guerres, note Digard dans son ouvrage "L'homme et les animaux domestique", ed Fayard). Mais le chien était bon à bien d'autre services. Ses poils filés, tressés, sa peau tannée, son agressivité encouragée pour la défense, sa force utilisée pour tirer des charges, le chien aurait aussi quelques raisons d'aboyer pour demander des comptes à l'homme... Mais comme chacun sait, notre "ami" à poils est peu rancunier.

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