samedi 2 février 2008

Aux racines de Jurassic Park

1992

Des dinosaures au coin du bois ? Des plantes, des mouches, des puces du Crétacé franchissant le mur du temps pour déferler sur nos cités ? Dans ce cauchemar, il suffirait d'isoler une pincée de matériel génétique d'une créature préhistorique, dans quelques restes bien conservés, pour voir, quelques années plus tard, le dit revenant slalomer entre les éprouvettes d'un laboratoire de biologie moléculaire.

Ceux qui ne sont pas encore informés de cette éventualité de débarquement de lointains moustiques ou dinosaures en cette fin de second millénaire pourront se faire expliquer l'affaire en cinémascope dans quelques mois, lors du la sortie du film de Spielberg inspiré du roman "Parc Jurassique" de Michael Crichton. Pour l'heure on peut se contenter du texte de ce (bon) roman. On y suit un milliardaire passablement obstiné, enfouissant des génies sous des brassées de dollars, afin qu'ils reconstituent sur une île inhabitée un zoo de "lézards terribles", nos dinosaures. Tout cela avec la complicité d'un ordinateur géant, et au prix de quelques géniales astuces de biochimie moléculaire. Clou de l'intrigue : l'idée d'aller extraire le code génétique des dinosaures dans les intestins des mouches qui les ont piquées. Celles-ci s'étant alors, il y a 65 millions d'années, empressées de se faire emprisonner et conserver dans de la résine devenue ambre jaune.

"Le roman est un travail remarquable, reposant sur nombre de techniques actuellement disponibles en laboratoire. Mais ne rêvons pas, la probabilité de parvenir à ressusciter des espèces préhistoriques disparues est proche de zéro. On ne peut évidemment pas dire que l'on y parviendra jamais. Mais pour moi, cela relève vraiment du domaine du phantasme". Simon Tillier, spécialiste de systématique moléculaire au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris brise le rêve. C'est un peu comme vouloir édifier une tour Eiffel de plusieurs centaines de kilomètres de hauteur.

Rien n'interdit de penser que l'on est capable d'y parvenir, puisque l'on a su bâtir le modèle parisien. Mais n'importe quel spécialiste de résistance des matériaux réalisera d'emblée qu'un tel projet est au-delà des capacités de nos alliages les plus résistants, et de nos composites les plus légers, puisque la masse d'une structure augmente beaucoup plus vite que sa résistance. Si dans le domaine des édifices il existe ainsi une frontière "naturelle", dans celui de la génétique moléculaire, on est loin d'avoir accumulé les connaissances théoriques nécessaires à rejouer le scénario du vivant. "Surtout, dans ce domaine, le tout est plus qu'une simple addition des parties", renchérit Simon Tillier. A savoir que même si l'on disposait du code génétique complet d'un dinosaure, cela ne serait pas suffisant pour le faire "fonctionner".

Pourquoi tant d'agitation autour de ce rêve de Phénix génétique ? Au départ de la rumeur médiatique, et à l'origine du livre de Crichton, on trouve les propos plutôt optimistes d'un groupe de scientifiques de Berkeley : l'"Extinct DNA study group", sous la houlette de l'entomologiste George Poinar, de l'Université de Californie. Ce chercheur s'est fait une spécialité de l'étude des codes génétiques d'insectes conservés dans l'ambre, tout comme ses principaux compétiteurs, dont l'équipe de Dave Grimaldi et Rob DeSalle, à l'American Museum of Natural History (1). Depuis quelques années une véritable "course au temps" s'est installée entre ces équipes.

Le pionnier de cette démarche fut Allan Wilson, de Berkeley, qui clona en 1984 l'ADN (molécule supportant le codage génétique) de quagga, une chimère zèbre-cheval éteinte depuis 111 ans. Le matériel de départ étant la peau sèchée de l'un des derniers specimen de l'animal.

Après cet essai, le premier grand saut dans le temps intervint la même année, avec l'analyse d'un morceau d'ADN d'un mammouth préservé depuis quarante mille ans dans le sol sibérien.

Aujourd'hui Poinar comme Grimaldi travaillent notamment sur des échantillons d'ambre de 30 millions d'années provenant de République Dominicaine (des abeilles pour Poinar, des termites pour Grimaldi). Les deux groupes ont publié ces travaux cette année (2) et ont enfoncé le record précédent, une séquence génétique de feuille de magnolia âgée de 17 millions d'années "seulement" (Edward Golenberg, Waine Universtity, 1989). Un record nouveau qui n'est évidemment qu'une étape. D'autres équipes travaillent sur de l'ADN de poisson de 200 millions d'années (Université du Colorado), sur les incontournables dinosaures, des brachiopodes de 400 millions d'années (Smithonian Institution).

En fait, la multiplication des laboratoires et des compétences dans ce domaine va déboucher une nouvelle science : la paléontologie moléculaire. On n'étudiera plus l'évolution biologique des espèces en mesurant la taille des os, des empreintes, mais aussi en comparant les séquences génétiques des individus. Dans le cas des termites, par exemple, la question qui se pose désormais est de savoir pourquoi dans les Caraïbes un certain nombre d'espèces, révélées par l'analyse génétique, ont disparu au profit d'une seule d'entre elles, survivante aujourd'hui.

Il n'y pas dans ces nuances de quelques millions d'années de véritable enjeu scientifique. Mais l'impact médiatique (ce qui aux Etats-Unis est important) n'est pas à négliger. En marge des travaux de fond, on peut donc parier que certains chercheurs s'attacheront à battre des records pour accroître leur renommée, s'attirer des fonds, et mener des recherches encore plus audacieuses...

(1) Voir Science vol 257, p 1933
(2) On ne parle ici que de fractions du code génétique. La structure du ruban moléculaire est très instable, sensible à la température, et sur les milliers de bases qui constituent la mémoire cellulaire d'un termite ou d'une mouche, seules de petites séquences de quelques dizaines de bases sont en général lisibles après amplification par la technique moléculaire dite "PCR". C'est suffisant aux yeux des scientifiques. Ces renseignements leurs permettant éventuellement classer les espèces, de les comparer à leurs descendants. Mais même en accumulant les données, il paraît impossible de reconstituer des gènes complets, dans la mesure où les séquences les plus fragiles sont probablement toujours les mêmes, et manquent systématiquement à l'appel. A moins d'une astuce de laboratoire ?

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