samedi 20 septembre 2008

Sciences et sports

Juin 1992

"J'ai un secret. Je cours 60 km par jour". Info ou intox ? Stratèges, à l'instar du coureur de fond et recordman britannique David Bedford, les champions passent leur vie à livrer les canulars les plus énormes sur leurs entraînements. Histoire de brouiller les cartes et les esprits des musclés d'en face, de les déstabiliser et de les orienter vers de mauvaises solutions. La science du sport est devenue une denrée stratégique, que l'on protège et que l'on manipule. Car la victoire, si elle est toujours aussi belle, se prépare désormais dans des stades-laboratoires, où les chercheurs règnent en alchimistes sur les coulisses de l'exploit.

"C'est vrai. On ne dit pas tout. Mais de toute manière, les autres sont en général bien renseigné, les choses finissent par se savoir. Parfois on arrive simplement à garder de l'avance, le temps de rafler quelques victoires." Eric Jousselin, responsable de l'équipe médicale de l'Institut National du Sport et de l'Education Physique (INSEP), ménage pourtant les athlètes : "le sportif reste un homme et non un sujet de laboratoire, on ne peut pas tester n'importe quoi sur lui". Sage résolution. Alors on teste souvent les améliorations techniques et les astuces d'entraînement sur les juniors. Mais les coureurs sont des têtes brulées, trop souvent prêts à croire et à faire n'importe quoi pour gagner. "Pour eux, si un adversaire gagne, c'est qu'il a un truc. Ils remettent rarement en cause leurs aptitudes et leur entraînement, mais cherchent du côté du matériel, des astuces de préparation physique, voire du dopage". Parmi les fausses rumeurs les plus mémorables, celle de l'équipe de France d'escrime, sur une photographie, en train de simuler des assauts au fond d'une piscine. Pour faire croire à des entraînements en apnée.Totalement bidon.

A côté de nous, Bruno Thibou respire toujours. Avec son tuyau dans la bouche et sa pince à linge sur le nez, ce jeune espoir n'a pas l'air à la fête. La sueur ruisselle sur ses cuisses et cicatrices de cycliste : il a de fortes chances d'aller à Barcelone, pour l'épreuve sur route des Jeux Olympiques. Pour l'instant, les techniciens de l'INSEP lui font un "VO2 max". Ils mesurent la capacité de sa machine énergétique à dévorer de l'oxygène.

C'est devenu la marotte des physiologistes du sport de la fin des années 80. On ne rencontrera pas un sportif de haut niveau qui n'ait galopé sur le tapis roulant, pédalé sur le vélo de salle, nagé contre un courant artificiel avec le fameux embout entre les lèvres. Sous l'effort, la machine humaine absorbe une quantité d'oxygène qui correspond à sa puissance maximale. En mesurant ce chiffre clef, véritable donnée biologique des champions, les chercheurs savent combien d'oxygène peut se rendre dans les muscles, pour y brûler des sucres, et y produire de l'effort. Si on lui demande de faire mieux que ce palier naturel, les muscles du sportif répondront à la demande. Mais pas pour longtemps. L'athlète pénètre dans un autre monde, sans oxygène, où ses fibres travaillent en apnée. Les sucres, incomplètement brûlés, y deviennent de l'acide lactique, qui s'accumule dans les tissus et le sang. Une logique biochimique qui va progressivement enrayer la belle machine avec les sables de la fatigue.

Pour progresser, il faut connaître le VO2 maximum, mais aussi l'effort auquel il correspond. Et en faisant travailler le sportif à ce niveau-là, par paliers, en surveillant l'acide lactique au moyen de petites prises de sang, on peut obtenir des améliorations étonnantes des performances.
Pour mieux connaître cette machine humaine, on dose encore les hormones, on pose sur les sportifs des capteurs cardiaques. "Certains les gardent tout le temps, quasiment 24 heures sur 24", note Eric Jousselin. Sur l'écran d'une petite montre reliées à un harnais pectoral, les cyclistes peuvent voir à quel rythme bat leur coeur lors d'une montée d'une côte. Ils constatent l'effet d'un changement de braquet, ou d'un démarrage, et s'octroient quelques plages de travail au-delà de leur rythme maximum, gérant comme des rentiers leur capital fatigue.

Mais attention, les surprises sont là. Il faut tenir compte du stress, comme sur une grille de départ de Formule 1, où les rythme cardiaques s'enflamment à plus de 150 pulsations, sous le seul effet de l'angoisse. Ou des synergies, comme en aviron, où le coeur d'un barreur immobile bat à l'unisson de ceux de ses rameurs, en pleine galère.

La chaudière musculaire est désormais connectée à des ordinateurs qui la surveillent, la diagnostiquent et l'entraînent. Les engins de musculature la jaugent et l'astreignent au bon effort. Mais dans le domaine de l'exécution du geste, obsession des bio-mécaniciens, la performance demeure une notion floue. "On peut visualiser et comprendre comment un athlète prend ses appuis quand il lance son disque, et corriger des pertes latérales d'effort, mais il est quasiment impossible de lui dire si son épaule travaille bien dans les trois dimensions, à ce moment-là", constate Régis Mollard, de la faculté de médecine Paris V et chercheur au CNRS.

On peut heureusement définir les grandes lignes des bons gestes techniques. Un démarrage de sprinter, par exemple, est filmé en cinéma stroboscopique, analysé par ordinateur. "En plaçant des détecteurs d'efforts dans les pistes d'athlétisme (pour les prises d'appuis), on pourrait mieux former les juniors, améliorer leurs performances très tôt", demande Mollard.

Au plus haut niveau, les gourous des laboratoires augmentent ainsi peu à peu leur ascendant sur des entraîneurs jaloux Les escrimeurs disposent de l'ARVIMEX, qui mesure leur temps de réaction par rapport à un signal de cible à toucher, et trahit la précision du geste. Chez les tireur à l'arc, c'est un laser qui mesure l'écart à la cible et des accéléromètres placés sur l'arc qui indiquent pourquoi la cible a été manquée. Et en boxe, tennis de table, ou en tir, une micro-caméra fixée sur la tête du sportif montre à l'entraîneur si son poulain regarde de travers son adversaire, la balle ou la cible. Tiens ? On s'est aperçu au passage que les très bons athlètes écoutent parfois bien peu leurs entraîneurs, inventent leur propre technique.

Finalement les entraîneurs préfèrent encore voir les chercheurs transpirer sur le matériel. Plus faciles à gérer, ces améliorations ont grignoté les fractions de seconde au fil des ans. Sans parler des histoires de pédales que Jeannie Longo entretient avec sa fédération, on se souvient que Bernard Hinault et Laurent Fignon eurent raison d'insister pour déballer les premiers vélos aérodynamiques qu'avaient sculpté des chercheurs un peu obsédés du vent. Un sérieux coup de poussette aérodynamique pour gagner : une minute dans un contre la montre ! Ce n'est pas Francesco Moser, recordman de l'heure à vélo, qui dira le contraire, du haut de son bicycle lenticulé et profilé à la Mad Max. Mais tout cela risque de plafonner. Comment imaginer que des perches encore plus raides, propulsives et puissantes à la fois puissent être moulées, alors que ce qui limite l'usage de ces outils hyper-techniques est précisément la capacité des athlètes à fléchir des brins aussi raides que des poteaux ? Au ras du Tartan, un revêtement qui fait courir très vite, si l'on a gagné 300 grammes en 20 ans sur les chaussures, il est difficile de concevoir un autre bond de cette importance. Mais même si la science ne peut plus faire gagner qu'une poignée de secondes, aucun athlète ne les refusera au passage.

"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent", a constaté Hugo. Et on peut compter sur les laboratoires pour aider les athlètes à transpirer.


Encadré
le poids du mental
"Il est plus facile de jouer en compétition contre un ennemi que contre un ami", estime le docteur Pierre Talbot, médecin chef de la Fédération Française de Tennis. Mais vouloir "tuer" l'autre peut être dangereux, voire négatif en matière de performances sportives. "Il faut certes une bonne dose de volonté, mais un athlète trop excité risque de manquer de clairvoyance", explique Philippe Fleurance, chercheur en psychologie à l'Institut National Supérieur d'Education Physique (INSEP). A titre d'exemple, un tireur à la carabine est capable de diminuer son rythme cardiaque, pour se mettre dans une sorte d'état second de concentration calme, où ses performances sont meilleures. Par contre un nageur immobile sur son plot de départ va augmenter sa fréquence jusqu'à 140 pulsations par minute, pour préparer son corps à la violence de l'effort qu'il va accomplir !


Pilotes : la technique fait plier l'homme
Image du dernier Grand Prix de Monaco. Epuisé, lessivé, Mansell est soutenu comme un bébé par des "gros bras" de son équipe. Dans aucun autre sport les hommes ne sont soumis à autant de tortures. Dans une courbe serrée, un pilote de formule un encaisse 3 à 4 G latéraux, avant de réaccélerer, et d'en reprendre 2 ou 3 autres, bien en face. "Il n'y a qu'a voir la musculature du cou, qui contrebalance la force qui s'exerce sur la tête à chaque virage pour comprendre que durant une course, chaque pilote soulève au total 10 tonnes d'un côté de son casque et quatre tonnes de l'autre", estime le docteur Charles-Yves Guezenec, du Centre d'études et de recherches de médecine aérospatiale. Le coeur, moteur des pilotes, bat en moyenne à 140 pulsations par minute, avec des pointes à 190. C'est dans les virages serrés, sans visibilité, qu'il accélère le plus. Cela correspond à un coup de stress, juste après un petit calme provoqué par une "apnée", le pilote ayant cessé de respirer au freinage précédent. Pire. Durant ce même freinage, les 2 à 3 G ont fait descendre un litre de sang dans les jambes. Ce n'est pas le voile noir, le cerveau est alimenté, mais le coeur besogne dur pour faire revenir la pression. Pour les chercheurs, les pilotes devraient, comme dans les chasseurs, porter des pantalons anti-G légèrement gonflés pour éviter ces coups de pompes.

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