samedi 20 septembre 2008

Saga des algues "tueuses"

Décembre 1991

"Tenez, goutez". Avec un sourire narquois Alexandre Meinesz, responsable du laboratoire d'environnement litoral de Nice, me tend une éprouvette bourrée de feuilles graciles. "A faible dose il n'y a pas d'inconvénient, mais crachez la, ensuite". Je machonne donc, un minuscule fragment de Caulerpa Taxifolia. Une minute plus tard, le picotement de la toxine est là, qui gagne langue et palais. "Alors, vous comprenez, quand certains racontent que cette algue est tellement innofensive que l'on pourrait la consommer en salade, je bondis..." Alexandre Meinesz s'époumone depuis 1989 à alerter les autorités sur les dangers de cette algue : "Il faut agir et vite, l'algue se répand exponentiellement, et tout le littoral est menacé".
Un avis tempéré par les organismes publics de recherche, dont les chercheurs hésitaient jusqu'ici à mettre en oeuvre un programme d'études.
Pour Meisnez, le débat scientifique ne doit pas inhiber l'action. A quelques encablures des plages d'or, un drame sous-marin est peut-être en train de se nouer. Chercheurs et plongeurs du cru, à chaque fois qu'ils retournent au fond sont médusés par l'extension de la "gangrène verte". De vastes prairies sous-marines se forment, couleur vert printemps. Trop belles pour être honnètes ? Aucun animal ne vient spontanément se nourir de ces herbages-là. "Les oursins que nous avons mis en présence de caulerpes, avec le professeur Boudouresque (laboratoire d'écologie de Marseille), ont préféré manger la peinture des aquariums, le plastique des tuyaux, puis se laisser mourir plutôt que de consommer les algues", raconte Meisnez. Plus résistants à la toxine, des poissons comme les saupes peuvent se laisser aller à brouter, s'ils ne trouvent rien d'autre. En devenant eux-mêmes toxiques. Le problème, c'est cette algue croit et se multiplie à toute vitesse, voyage au gré des courants, s'adapte à tous les reliefs, s'immisce jusqu'à étouffer les autres algues. Déjà à Monaco, au Cap Martin, à Agay, dans la rade de Toulon, la tache fluorescente croise ses feuilles avec les grandes nourrisseuses de la mer, les posidonies. Et si celles-ci disparaissaient ? "Ce serait une catastrophe majeure, bien supérieure à une marée noire", soupire Meneisz.
De quels abysses a surgit cette créature ? Du Pacifique. Là-bas, l'algue folle se trouve endiguée par un milieu concurrentiel. Les espèces s'y battent entre elles à coup de toxines" Ici, en Méditerrannée, une guerrière aussi lourdement équipée est tout à fait déplacée. Les espèces indigènes sont sans défense et "on ne voit pas très bien ce qui pourrait l'arrèter", s'inquiète Meinesz.
Reste le mystère du transport. Comment une algue des lagons a-t-elle pu élire domicile au pied des falaises de la Principauté ? Probablement par le truchement de l'aquarium de Monaco, estime le chercheur, puisque comme dans bon nombre d'endroits, elle y servait de fond décoratif. C'est du moins devant cet établissement qu'elle a été repérée, dès 1989, entre 5 et 35 mètres de fond. "On ne peut en vouloir à personne, qui aurait pu imaginer que cette algue d'eau chaude (25 degrés) s'adapterait aussi bien aux eaux froides (18 degrés) de notre région", se demande un chercheur. Une redoutable première, qui pose déjà le problème de l'éradication. Plusieurs voies sont envisagés, chimiques, biologiques, en important des prédateurs du Pacifique, ou par simple arrachage, par une armée de plongeurs munis de suceuses... Une guerre verte dans le grand bleu.

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