samedi 20 septembre 2008

De Gennes, prix Nobel

Décembre 1991

Avec son inusable allure de jeune homme enthousiaste et un peu gauche, Pierre-Gilles de Gennes est venu à Stockholm en solitaire, recevoir le prix Nobel. Anne-Marie, sa femme, est à Orsay, derrière les fourneaux de son "Boudin Sauvage" de restaurant. "Toute cette effervescence est assez lourde à porter, nous n'avons pas envie d'en rajouter", dit-elle. Le "clan" de Gennes, avec ses trois enfants et ses sept petits-enfants fêtera donc le Nobel au retour, bien sagement. "Bien sûr nous sommes heureux, mais nous continuons notre vie comme avant".
Couronné pour ses "coups de balais", spécialiste de la clarification, Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique 1991 possède l'intelligence de la discrétion. Même quand on lui répète qu'après 21 ans, la France est en manque de Nobel de physique, et qu'on lui tend tous les micros pour qu'il dise ce qu'il pense du Monde, il répond qu'il n'a guère le temps de faire de l'esbrouffe, encore moins les qualités pour jouer les oracles. Une évasion qui n'est pas faiblesse, mais sérénité. Tout Nobel qu'il soit, de Gennes entend préserver de l'énergie pour ses travaux. Il en est capable, il l'a déjà prouvé. D'autres que lui auraient déjà laissé mourir la flamme de la recherche sous la multiplication des responsabilités et l'étouffoir des honneurs : directeur de l'Ecole de Physique et de Chimie de la ville de Paris, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des Sciences et de plusieurs académies étrangères, etc... Il assume, et à 59 ans continue de pelleter le charbon, de mettre les mains "dans le cambouis" comme un étudiant. Se passionnant pour les problèmes complexes que la physique ne sait pas prendre en compte. A coup de déjeuners familiaux écourtés, de dimanches sacrifiés, il avance, reconstitue les puzzles de la difficulté. "Jusqu'à ce que l'image de la solution s'impose, évidente". Merci, pourrait lui dire l'industrie : magnétisme, supraconducteurs, cristaux liquides, colles, polymères, on ne compte plus les domaines où les équations de de Gennes ont permis de travailler sérieusement, au lieu de faire de l'a peu près. "Des fruits mûrs que j'ai su cueillir au bon moment" s'excuse-t-il. Encore faut-il reconnaitre une poire d'une pomme, ce qui en sciences est l'apanage des meilleurs. Un éclectisme et une intuition stupéfiants, qui lui ont valu le redoutable surnom de "Newton". Même le comité Nobel, dans son communiqué, use de cette comparaison. Autant gêné par cette marée d'honneurs qu'il l'a toujours été par cette grande taille qui lui fait dépasser les foules d'une tête, ce brillant timide trouve à son gabarit un seul avantage : les enjambées. Il ne marche pas. Il court, vole et sème le temps. Depuis son premier laboratoire, jusqu'aux amphitéatres où il enseigne, il a toujours avalé les marches par quatre, essouflé ses interlocuteurs. On le qualifie de surdoué ? Il refuse le qualificatif, et rétorque par des conférences sur ses erreurs dont raffollent les étudiants. Outre sa clarté de vision, ce chercheur a su créer des équipes, s'entourer des plus affamés de science. "C'est à eux, et à mes maîtres que je dois tout" dit-il. Des craintes ? Une seule. "Que la récompense m'entraîne sur la pente savonneuse des médias, à parler de ce que je ne connaîs pas..."

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