samedi 20 septembre 2008

L'enfant "sauvé" par son chien

Décembre 1991

A la lisière des cheveux noirs en bataille, les yeux de Donny ont percé le brouillard. Dans le couloir, le trottinement de Rusty le chiot devient galop. Tornade, la boule de poils échappe aux mains qui la retiennent, tourne le coin de la chambre, et s'élance pour s'affaler d'un bond sur la poitrine du malade. "Bad Rusty, bad". Fournaise de plaisir, le souffle coupé par le poids du chiot sur son ventre, le garçonnet de 11 ans a tenté de se lever de son fauteuil roulant. Pour mieux noyer un filet de voix et un sourire dans le pelage roux. Métamorphose. Impossible de reconnaître le personnage apathique, indifférent au monde, qu'il incarnait quelques instants plus tôt.
"C'est comme cela que ça s'est passé, il y a tout juste une semaine. Rusty a sauté sur le lit de Donny, lui a léché le visage, et l'a sorti du coma", répète encore une fois la soeur du garçon. Comme si elle craignait qu'au pays de Mickey et de l'inflation médiatique l'histoire de Rusty et Donny soit trop belle pour être crue.
Face aux eaux brumeuses de la passe de Long Island, North Haven étire ses rangées de maisons de bois, déjà vues dans les rêves américains de ce coin de Nouvelle Angleterre. Coincée entre New York et Boston, les deux mégalopoles trop pressées, la petite ville vient de vivre son conte de Noël. Comme on en raconte parfois aux enfants sages. Donny Tomei, le petit d'homme heurté par une voiture pendant qu'il courait et riait fort, du mauvais côté du trottoir, a plongé deux semaines durant dans le coma. A l'unité de soins intensifs de l'hôpital de New Haven, on refusait de se prononcer sur son éventuel "réveil". Et finalement c'est sa soeur, Angela, qui a eu l'idée de rétablir le contact en passant par le chien. "On a vu que Donny bougeait ses doigts quand on lui parlait de Rusty. J'ai demandé à pouvoir le lui amener". A première vue, cela commençait mal. Le chiot de six mois a bondi sur le lit, écrasant les jambes de son maître, avant de lécher son visage immobile. "Cela lui a arraché son premier sourire", se souvient Angela. Une rupture des normes hospitalières qui depuis fait l'espoir de toute la famille. Car à chaque visite du chien, Donny continue de s'éveiller un peu davantage. "Il aime tellement ce chien... Avant, il passait tout son temps avec lui, à lui parler"... Depuis une semaine, Donny a quitté le service des urgences de l'hôpital de New Haven, pour rejoindre une clinique spécialisée en rééducation pédiatrique. Un hôpital à part, bien connu dans la région pour ouvrir grand ses portes aux animaux de tous poils et aux amitiés de toutes natures.
"Le cas de Donny est révélateur de ce que nous pensons ici. Un animal entretient des relations privilégiées avec un être humain, que rien ne peut remplacer. Et cela peut très bien servir de déclencheur, comme dans le cas de ce garçon, pour favoriser une récupération de la conscience après un traumatisme cérébral important", estime le Dr Philip Arnold, responsable de la réhabilitation médicale de l'hôpital de Newington. Le terme de miracle est banni. Donny n'est pas encore totalement tiré d'affaire. On ignore encore si ses doigts retrouveront la vitesse et si sa bouche reconstruira de longues phrases. Sur l'échelle des "états de conscience", notés de 1 à 8, Rusty l'a déjà propulsé de la note 2 (faibles réactions aléatoires aux sollicitations) à celle de 5 (réactions normales, mais détachement de la réalité, et incapacité à répondre à des problèmes complexes). Il va subir pendant deux mois des exercices de sollicitation visuelle, sonore, et affective qui doivent le ramener progressivement à une conscience normale des choses. Comme s'il s'agissait dans son cerveau embrouillé de retrouver les fils de l'écoute, et les circuits de la décision. Une gymnastique de chaque instant, en présence permanente de sa mère, et la visite hebdomadaire de Rusty. "Il est trop tôt pour se prononcer, mais à cet âge le cerveau possède une certaine plasticité, et même si des structures cérébrales sont détruites, d'autres pourront peut-être se réorganiser pour récupérer une partie des fonctions", glisse le médecin.
Toutes les semaines, dans cet hôpital qui s'apparente davantage à une salle de jeux qu'à un établissement de soins, des chiens viennent rendre visite aux jeunes pensionnaires. "Parce que les chiens donnent de l'amour, sans compter, et sans se préoccuper de savoir si vous êtes beau ou laid, bien portant ou malade, bon ou méchant. Nous avons des résultats qui nous poussent à aller encore plus loin", poursuit Philip Arnold.
Plus loin ? Quand on est psychologue scolaire, chargé de veiller à l'harmonie de 700 petites âmes tumultueuses réunies sous le même toit, on pourrait parfois baisser les bras. Alors, quand l'école primaire Eisenhower de Hopkins, dans le Minnesota recrute un précieux psychologue adjoint, on s'étonne de lui découvrir les traits d'un chien. Farce ? "Cela peut ressembler à une plaisanterie, mais c'est très sérieux". Bob Hollinbeck, descendant de Norvégiens qui vinrent s'installer sur ces rives particulièrement bien enneigées du Mississippi, a une volonté trempée dans l'acier. Quand le conseil de l'école lui explique qu'après toutes ses précédentes lubies pour faire de l'école un foyer plus chaleureux qu'une maison, un chien-psychologue c'est vraiment trop, il passe outre. Et avec la complicité du principal, désigne son labrador Coco, au poste d'assistant. "Au bout de quelques mois, on a bien été obligé de reconnaître mes résultats. En fait, je ne prenais aucun risque d'accident. Je connais Coco depuis son plus jeune âge, et je savais d'avance qu'elle présente le profil parfait pour ce poste : régulière, douce et aimante".
En deux frétillemente de queue et trois regards humides, Coco est devenue la reine de l'école. Pataude et attentive, cette femelle de sept ans arpente les couloirs en toute liberté. Rencontrant deci delà quelques retardataires, un groupe en train de jouer, accompagnant les enfants lors de leurs activités. A sa guise, elle pénètre dans les classes en plein cours, va s'asseoir dans un coin sans que les élèves se dissipent autrement qu'en lui dispensant quelques sobres caresses au passage.
"Paradoxalement, elle renforce la concentration et provoque une amélioration des résultats scolaires. Essentiellement parce que si quelque chose va de travers, les enfants ont spontanément envie de se confier à elle. Elle est leur amie, leur confidente". On a vu, en plein cours des enfants se lever, sortir de la classe pour aller "parler à Coco". "Parfois des enfants dont les parents s'étaient battus, ou dont le père boit. A moi, ils ne l'auraient jamais dit directement, ou cela aurait été beaucoup plus long", poursuit Hollinbeck. Coco "travaille" seule, dans toutes l'école, mais assite aussi aux entretiens que Bob conduit avec les élèves. Le courant passe mieux. "On l'aime fort, parce qu'elle est très douce, très gentille", explique Rachel, neuf ans. "La dernière fois que lui a parlée, c'est parce que je venais de me disputer avec une copine. J'avais un gros chagrin. Mais Coco, quand je la regarde dans les yeux, je me sens mieux. C'est un truc vraiment spécial à ce chien"
"Oui, elle est très spéciale, elle n'est pas comme les autres animaux ", renchérit Kevin, 10 ans, pourtant propriétaire d'un chien et de plusieurs cochons d'Inde. "On lui dit des choses qu'on ne dira jamais à M. Hollinbeck".
Les plus attachés à Coco sont les plus jeunes, les moins de 8 ans. Que la chienne se dégourdisse les pattes dans la cour de récréation enneigée, et c'est la ruée. Chacun veut la toucher, l'embrasser, lui mettre les bras autour du poitrail. Des accidents ? "Pas le moindre en trois ans", précise Bob Hollinbeck. "Ah si j'oubliais. Une fois, des enfants sont venus me chercher dans mon bureau en criant que Coco avait mordu quelqu'un. Quand je suis arrivé, c'était en fait un petit garçon particulièrement baggareur et difficile qui avait attrapé Coco à pleines dents. Sans que la chienne ne réagisse".
Mais ne pensez pas que Coco est une nature morte qui aime se prélasser au coin du feu. "A la chasse, dans les lacs à l'eau glacée, elle va chercher les canards avec une énergie incroyable, et déploie une agressivité étonnante. Mais cela, personne ne le verra, s'amuse Bob Hollinbeck. Aucun enfant, ni aucun journaliste. C'est notre jardin secret, à elle et moi. A mon sens, c'est indispensable à son équilibre, pour qu'elle ne devienne pas une nounou ramollie." Il y a une question que nous n'osons pas poser à Bob Hollibeck, tandis q'il s'éloigne avec Coco. Qui est l'assistant de l'autre ?

1 commentaire:

calendars a dit…

The child saved by his dog is a unique story. Sometimes, pets are very helpful to human beings.