samedi 20 septembre 2008

Le mal de l'altitude

Octobre 1991

Les alpinistes sont des noyés. A 5.500 mètres d'altitude, il ne disposent plus que de la moitié de l'oxygène présent au niveau de la mer, et à 8.800, on descend à un tiers. Cuisante privation : 60 % des amateurs de trekking ou d'alpinisme souffrent du mal des montagne (migraines, nausées, insomnie, fatigue) et 20 % sont atteints au point de risquer l'oedème pulmonaire ou cérébral s'ils insistent. Plusieurs dizaines de fois par saison, il faut dans l'Himalaya les redescendre en urgence, ou les enfermer dans des caissons pressurisés pour que leur état s'améliore. Chaque année, certains insistent, et au bout du malaise rencontrent la mort. Etonnant, les derniers 20 % grimpent comme des cabris, sans le moindre malaise.
Les montagnes sont devenues un laboratoire pour les chercheurs. Pour nos corps acclimatés au niveau zéro, le manque d'air en altitude revient à débarquer sur un monde inconnu, à y bouleverser les habitudes de l'organisme. "L'oxygène, c'est la vie, et des quantités de systèmes de régulation agissent vigoureusement pour compenser les effets de l'hypoxie". Le Pr. Jean-Paul Richalet, responsable de l'Association pour la Recherche en Physiologie de l'Environnement, à l'instar de ses confrères italiens, est un habitué des cimes. Bardé de matériel, il court chaque année dans l'Himalaya, sur le Mont Blanc ou dans les Andes pour prendre le pouls des volontaires qui se prètent à l'exercice, leur prélever des tissus. Utilité ? Mettre le doigt sur les agents biochimiques qui interviennent dans l'adaptation au manque d'oxygène. Au programme, les chémorécepteurs. De petits détecteurs placés dans des vaisseaux sanguins, qui signalent le manque d'oxygène dans le sang et commandent le rythme cardiaque (adrénaline). S'ils sont trop sensibles, le mal des montagnes s'installe plus rapidement, et l'apparition d'oedèmes pulmonaires devient possible. La compréhension de cette régulation, et la mise au point de substances pharmaceutiques pour la contrôler pourrait bénéficier aux amateurs de montagne (on peut aussi être malade dans une station de ski ou sur une montagne à vaches), mais concernerait aussi les insuffisants respiratoires (bronchites) ou circulatoires, voire les candidats aux infarctus.
De manière plus fondamentale, on tente dans la pyramide himalayenne de comprendre comment le corps s'adapte. Pourquoi, par exemple, une limitation du rythme cardiaque s'installe-t-elle ? Le rythme le plus élevé que peut atteindre un alpiniste décroît au fur et à mesure qu'il monte. Comme si le coeur voulait en "garder sous le pied", conserver une réserve en limitant sa dépense en énergie, pour ne pas risquer l'infarctus. Intéressant pour tous ceux qui ont un coeur qui accélère trop vite, ou irrégulièrement.
L'atout de la pyramide c'est encore de pouvoir comparer notre métabolisme avec celui des sherpas. Les indigènes, bien adaptés à l'altitude, ne fabriquent pas de globules rouges en surnombre quand ils grimpent. Les occidentaux, au contraire, en ajoutent des quantités pour mieux véhiculer l'oxygène. Le plus surprenant, c'est que les habitants des Andes, qui vivent confortablement à plus de 4.000 mètres secrètent eux aussi des globules rouges dès qu'ils montent. Contrairement aux Népalais. Pourquoi ? La piste génétique est étudiée de près. Demeure le mystère du poids. Les muscles fondent à haute altitude comme neige au soleil, et les grimpeurs laissent 5 à 10 kg sur les pentes, essentiellement par perte d'apétit. Une clef pour accéder aux arcanes de la régulation du poids par les enzymes et les hormones.
Dans un autre domaine, on tente aussi de démasquer les responsables des troubles du sommeil. Insomniaques, les alpinistes fourniront peut-être des indices pour identifier les facteurs qui commandent les apnées nocturnes. A travers le monde, des milliers de dormeurs oublient de respirer pendant des secondes entières, et se réveillent en permanence, par réflexe. Plongeurs de la nuit, ils sont condamnés à porter des appareils respiratoires pour dormir sans danger. Leurs cauchemars trouveront-ils leur solution sur le toit du monde ?

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