jeudi 17 juillet 2008

Impuissance

Impuissance
jullet 1993

Il est des plaines que les montagnards les plus hardis rechignent à fouler du pied. Et les médecins ne sont, au final, qu'un genre d'éclaireurs parmi d'autres. Pourquoi s'étonner alors de les voir vivre les mêmes inhibitions que leurs contemporains et de s'être si longtemps aussi peu préoccupé de la fonction sexuelle de l'homme ? A tel point que celle-ci est restée, zone interdite, un mystère. Une ombre sur le corps viril qu'il était peu opportun de balayer. De ce côté-là, les ennuis se taisaient, question de réputation. Et la fatalité s'abattait dans le silence masculin des cabinets de consultation.

"Tout change aujourd'hui, enfin. Il faut le dire, le répéter, les biologistes, les neurologues, les chirurgiens se retrouvent avec de vrais outils de recherche et de compréhension au chevet de l'impuissance. Et si le mécanisme fondamental de l'érection est toujours un mystère, on dispose désormais d'armes pour lutter. L'impuissance, c'est fini. Pour ceux qui veulent se battre, elle n'existe plus, dans 90 % des cas. Et dans quelques années, ce ne sera plus qu'un souvenir, quelque soit le problème".
Ronald Virag, directeur du Centre d'exploration et de traitement de l'impuissance (CERI) est un militant de longue date de la cause masculine. Et sa devise pourrait rejoindre le mot de Claudel, dans le Soulier de Satin : "rien ne suffit à l'amour".
Sous cette banière ont depuis des millénaires sévit les potions. La corne de rhinocéros, le bois de renne pilé, les redoutables mouches dorées d'Espagne d'Ambroise Paré, aux effets secondaires mortels, les breuvages taoïstes, qui permettaient de retenir longtemps l'énergie vitale, les fourmis jaunes, la Yohimbine africaine, le ginseng asiatique s'échangeaient sous le manteau. Avec des vertus allant de zéro à une activité notable. "Pour certaines de ces substances, il faudrait aller voir de plus près, il y a peut-être des molécules intéressantes", note un phytochimiste spécialisé dans la recherche de nouvelles molécules actives. Mais pour l'heure, peu d'études scientifiques officielles sur l'effet des molécules issues de l'armoire naturelle, encore moins sur les actions secondaires mais intéressantes de certains médicaments modernes, comme les alpha-bloquants. A tel point qu'aujourd'hui le gros du travail dans ce domaine est le fruit d'initiatives privés, d'équipes isolées. "Mais d'ores et déjà, il faut prévenir les hommes contre les effets des aphrodisiaques sauvages et violents que sont les mélanges éther-alcool, la cocaïne en application locale : à bannir, car excessivement dangereux, voire mortels" prévient Ronald Virag.

Certes, on sait désormais que le sexe se commande depuis le cerveau, qui lui-même fonctionne comme une glande, échangeant des informations chimiques en quantité. Mais déclencher une érection chez l'homme n'a rien de commun avec le mécanisme chez le rat (on sait le faire par injection d'un neuromédiateur, la lulubérine). Le cocktail des substances est complexe, et l'on est pas prêt de mettre la main sur le mélange de la "pilule à désir".

"Par contre, on peut déjà rétablir la fonction, par injection pharmacologique dans la verge, par chirurgie vasculaire, ou dans le pire des cas, à l'aide de prothèses", annonce le Dr Virag. L'administration d'hormones comme la testostérone n'est pas suffisante ? "Elle ne correspond qu'à un nombre limité de situations, quand le déficit hormonal général est patent. Néanmoins, nous commençons toujours par un bilan hormonal", note Virag.

Depuis des décennies, les administrations d'hormones simples ou les greffes de tissu hormonaux ont en effet fait courir les hommes vers de discrets cabinets. Testostérone, LH (son stimulant) y sont devenus des produits convoités...
"En fait l'andropause n'existe pas. Certes, on observe une diminution progressive de l'hormone sexuelle, la testostérone, vers 50 ans. Elle est généralement faible et lente, mais on n'a pu établir aucune relation directe entre cette évolution et la capacité érectile. On n'administre des hormones que si la baisse du taux hormonal est vraiment très importante" explique le Pr Gabriel Arvis, responsable du service d'andro-urologie de l'hôpital Saint Antoine, créateur de la première unité de ce type en France, à l'aube des années 80.

Perte d'apétit sexuel, diminution des hormones, blocage psychologique, causes phsysiologiques et surtout artérielles : les causes potentielles de l'impuissance sont multiples. Et souvent imbriquées. "En l'absence évidente de statistiques officielles, on peut dire globalement qu'un homme sur deux sera concerné tôt ou tard par l'impuissance, mais la motivation à 75 ans pour récupérer sa fonction érectile ne sera évidemment pas la même que celle d'un quadragénaire frappé de diabète", poursuit Arvis.

Dans la forêt des causes potentielles de l'impuissance , on réalise vite qu'il est difficile, même au spécialiste, de s'y retrouver. La plupart du temps, un bilan sérieux et complet sera nécéssaire pour cerner l'origine du trouble.
Dans le cabinet du Dr Virag, monsieur V., 60 ans consulte car il n'a plus d'érection avec sa compagne régulière. Alors qu'avec des partenaies de rencontre, la machine fonctionne encore. Il s'en déclare fort contrarié, car il souhaite préserver son couple... Vingt minutes plus tard, dans le noir de la salle d'examen, après une injection de papavérine dans la verge, cntemplant un film suggestif, Monsieur V aura une érection tout à fait honorable. "C'est un cas typique d'inhibition psychologique, qui rentrera dans l'ordre, mais il y a peut-êre autre chose", commente le Dr Virag. Les courbes montrent en effet que l'érection de M. V aurait pu être plus importante. "Nous allons examiner sons sytème veineux, pour voir s'il n'y a pas de fuite à ce niveau. Au fil des ans nous avons mis au point un protocole qui permet d'indentifier la plupart des cas. Et avec un recul sur plus de huit mille patients aujourd'hui, je puis affirmer que la part psychologique est généralement beaucoup plus réduite que ce qu'affirment les psychiatres, et que lorsque l'on soigne l'organe, la fonction se rétablit plus facilement."
Par ces positions tranchées, Ronald Virag irrite parfois. Mais le médecin tire son optimisme d'une expérience accumulée à partir d'une trouvaille unique, pour l'heure aussi simple qu'efficace.

Chirurgien vasculaire, il commence bien entendu par opérer. La verge doit ouvrir ses artères lors de l'excitation, accueillir du sang dans ses corps caverneux, et le retenir en comprimant les veines. Tout défaut dans ce système "hydraulique" contrôlé par les systèmes biochmiques associés aux terminaisons nerveuses rend l'érection plus ou moins difficile à obtenir. Virag propose donc plusieurs types d'intervention veineuses à ceux dont les vaisseaux sont atteints des maux habituels : sclérose, plaques d'athérome, etc.. C'est au détour d'une telle opération que se produira le déclic. En injectant à son patient une dose de papavérine, vieux médicament extrait du pavot et utilisé en chirurgie pour dilater les artères , le médecin constate une érection incongrue. La molécule chimique, par son action locale, met en route les automatismes de l'érection, chez un homme dont toutes les possibilités étaient oubliées.

Depuis, la panoplie chimique s'est enrichie de nouvelles molécles et Virag commercialise notament un mélange efficace, la Céritine.
L'injection, pour sa part, a été automatisée, à l'aide d'un injecteur manipulable par n'importe qui, une dizaine de minutes avant l'érecton souhaitée.

"Ces injections, complétées par d'autres mesures, nous permettent aujourd'hui de diagnostiquer les troubles physiologiques profonds. Les patients qui réagissent à la papavérine et aux autres mélanges par une érection pourront évidemment bénéficier du traitement, et obtenir une raideur honorable. Sous surveillance médicale, ils pourront s'administrer deux fois par semaine le produit, grâce à l'injecteur automatique".

Pour le Dr Virag, il s'agit là d'une révolution, que les années 80 ont permsi de valider en traitement de fond, capable de rendre leur joie de vivre à des milliers de patients. Seule contrainte : un suivi médical rigoureux, pour parer aux deux risques associés à ce genre d'injections : le priapisme, ou blocage de la verge en érection, qui au-delà de deux heures devient dangereux pour les tissus, et la fibrose, du fait des injections répétées. "Dans l'un et l'autre cas, les incidents sont en fait très rares, en raison du dosage précis des produits, et d'une surveillanace au long cours de l'état des tissus.", précise sur ce point le médecin.
Pour les troubles plus profonds, soit moins de 10 % des cas qui ne peuvent être abordés par l'injection pharmacologique directe, il reste lun double recours. La chirurgie, qui consiste à dévier des artères, à ligaturer des veines, ou à moduler le volume afin de retrouver une vigueur oubliée, et enfin, dans les cas les plus désespérés, la mise en place d'une prothèse. "Une procédure lourde et irréversible, qui peut donne pourtant une satisfaction remarquable aux patienst qui en acceptent totalement le principe. Il y a là un travail important de préparation psychologique, et d'acceptation à mener, m^me à l'encontre des compagnes", poursuit le chirurgien. Si ces conditions sont remplies les prothèses semi-rigides, qui procurent une demi-érection permanente, ou la version gonflable, peuvent donner des résultats d'excellente qualité.

Face à des patients qui revendiquent désormais de mener une vie complète, malgré les traces normales que l'age, ou le stress nous imposent, les andrologues ne peuvent évidemment se satisfaire de cet état des lieux. Des travaux de recherche, entrepris au sein du Ceri ou d'autres groupes à travers le monde, pourront demain abaisser les dernières barrières psychologiques et matérielles de ce type de traitements.
Dans la foulée de la découverte récente du rôle de l'oxyde d'azote (NO), ,dans le déclanchement du mécanisme de l'érection, il est probable que l'on pourra intervenir plus efficacement sur la chaîne des évènements chimiques, qui du cerveau jusqu'aux muscles lisses contrôlant le diamètre des artères péniennes, induisent l'érection.
Des substances plus actives pourraient ainsi être appliquées au moyen de petites bagues injectrices, des pommades mêler aux principes actifs des molécules transporteuses, des "mictroturbines", capables de convoyer ces nouveaux médicaments à travers la barrière de la peau et l'enveloppe des corps caverneux.
Pour l'heure, les substances appliquées sur la peau présentent l'inconvénient de se laisser drainer par le flux veineux dans le reste de l'organisme.

Le Dr Virag a pour sa part présenté aux colloque de Rome consacré le mois dernier à l'andrologie de nouvelles "olives", implantables sous la peau et destinées à réduire le débit veineux, et à faciliter le gonglement de la verge, dans les cas ou le sang demeure insuffisamment bloqué dans le verge.

D'autres projets de prothèses sont sur la paillasses des chercheurs du Ceri. Il s'agirait de petits parasols, inclus dans les corps caverneux, et que l'érection viendrait bloquer en position ouverte. Ces tuteurs ne se replieraient qu'au moment voulu, lors de la disparition de toute ardeur chez l'homme. L'évolution des biotechnologies, des cultures de tissus aidant, pourquoi ne pas envisager un jour la culture de tissus érectiles, ou des auto-greffes de muscles lisses prélevés en d'autres endroits de l'organisme ? Acharnement technique ? Il suffit d'assister à une journée de consultations dans un cabinet d'andrologie pour se convaincre du contraire. Les hommes qui s'assoeint en face d'un andrologue sont là en désespoir de cause. Ils ont souvent tout essayé, gadgets, remèdes de fortune, psychothérapie, partenaires de rencontre, et n'osent, bien souvent, même plus espérer.
"Il faut consulter, demande le Pr Arvis. Que ce soit pour une impuissance, parfois signal d'alarme de troubles vasculaires, pour une déformation de la verge, qui peut souvent s'opérer, ou encore pour des complexes induits par une taille de pénis qu'ils jugent trop modeste, j'ai vu trop de regrets. Ces inhibitions-là doivent être balayées. Un homme de cinquante ans, jettant un regard en arrière sur une vie entière de mari et de père gâchée, s'est encore l'autre jour écroulé en pleurs dans mon bureau..." Aujourd'hui on peut l'éviter.

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