mercredi 21 mai 2008

Avalanches

Mars 1991

Soixante dix tonnes d'explosif. C'est la quantité moyenne de dynamite que font parler chaque hiver les pisteurs et autre artificiers sur les pentes enneigées des montagnes françaises. Pour déclencher par onde de choc, préventivement, les départs d'avalanches qui menacent les pistes, et parfois les vallées bâties. Si l'on compte une moyenne de 2,5 kilos employés par détonation, on assiste ainsi chaque hiver à 28.000 emplois d'explosifs dans nos blanches montagnes. Un chiffre considérable, qui traduit la préoccupation croissante de "sécuriser" des domaines skiables de plus en plus gigantesques. Car les massifs français, qui représentent près du tiers du domaine skiable mondial, prennent des allures titanesques avec plus de 1 100 kilomètres carrés de pistes et plus de 6 millions de skieurs annuels, dont un million d'étrangers. Malgré toutes les précautions prises, il se produit une quarantaine d'accidents avalanches par an, avec le triste résultat de 20 à 30 décès.
Dans les grandes stations dont la réputation est en jeu, c'est l'inflation à la sécurité. Non seulement on balise et on ferme de plus en plus facilement des pistes au moindre risque de déclenchement de coulée, mais les artificiers et leurs assistants enchaînent des nombres impressionnants d'"actions temporaires actives", comme on désigne techniquement ces feux d'artifice de neige.

Concrètement, cela consiste encore la plupart du temps pour les pisteurs-artificiers à partir avant l'aube, vers 4 ou 5 heures du matin, pour rejoindre les pentes à traiter. Pour gagner des points soigneusement repérés et identifiés, pas toujours facile d'accès, et balancer en contrebas, au bout d'une corde, la charge explosive. Parmi les victimes d'avalanches, on compte ainsi des artificiers. Le plus souvent en raison du départ plus important que prévu de l'avalanche, qui suprend les techniciens les plus chevronnés (et ce qui interdit en principe le déclenchement des avalanches au-dessus de zones construites). Plus rarement en raison d'un accident d'explosif. Pour contourner ces risques, mais aussi pour pouvoir traiter davantage de couloirs à avalanches avant que les premiers fanatiques de poudreuse ne se soient élancés dans la griserie des pistes, les techniciens innovent. Ils tentent de mettre au point de nouvelles méthodes pour débarasser la montagne de sa neige instable, mais aussi de nouvelles astuces techniques.

La grande solution, inventée en France par le Cemagref, et devenue déjà relativement classique, consiste à installer un câble qui passe en surplomb des zones de départ d'avalanches. On envoie des charges explosives, suspensues à ce câble, et on peut traiter plusieurs couloirs d'avalanches simultanément. Mais le Catex est un sytème coûteux (300.000 francs par kilomètre installé) qui peut s'avérer dangereux. Il arrive que les charges, soumises au chocs du transport sur ce mini-téléphérique, à l'humidité, n'explosent pas. Les explosifs amorcés sont alors particulièrement redoutables.

Une solution qui paraissait d'avenir dans les années 70, le canon, ou plus exactement le propulseur de flèches explosives, a aujourd'hui perdu beucoup de partisans : les flèches de deux mètres de longeur qui doivent se ficher dans le mantea neigeux ont du mal à grimper des dénivellées importantes en étant propulés par de l'azote comprimé dans le canon. Ce qui oblige les artificiers à prendre des risques en venant se placer en contrebas de la zone des départs d'avalanche. Et le système est en définitive relativement coûteux.

Plus simple, et très efficace, le bombardement. "Certaines stations augmentent simplement la cadence des tirs en utilisant l'hélicoptère", explique François Rapin, de la division nivologie du Cemagref (centre de recherche sur le matériel agricole) de Grenoble. Depuis deux ans, le contrôle strict des activités d'artificiers dans la montagne a en effet dérogé, pour les hélicoptères et des équipages entraînés, à la rêgle de toujours rendre un explosif éventuellement non détonné accessible, de manière à pouvoir le récupérer. Une manière de rendre possible le "bombardement" intensif des sites de départ d'avalanche, simplement en jetant la dynamite amorcée depuis l'appareil. Pour assurer une plus grande sécurité, les amorces de ces charges sont doublées, "pour éviter que l'explosion n'ait pas lieu, et qu'un montagnard puisse ramasser une charge dangereuse", précise François Rapin. C'est cher (l'heure d'hélicoptère est à plus de 7.000 francs), mais très efficace. Certaines stations parviennent ainsi à provoquer 50 explosions par heure !

Une autre innovation, toute récente, risque cette fois de rencontrer un succès aussi important. Renonçant cette fois à toute utilisation d'explosif, le Gaz-Ex de la société Schippers présente en outre l'avantage d'être télecommandé. Il s'agit tout bonnement d'un gros tube (de 1,5 mètre cube de volume), ancré sur un bloc de béton, orienté face à la pente, et alimenté par de l'oxygène et du propane en bouteilles (déposées dans un abri pendant l'été). On commande à distance (par radio ou câble) le remplissage du tube, puis la mise à feu du mélange. L'explosion est alors particulièrement efficace pour déstabiliser le manteau de neige. Le seul inconvénient du système est celui du prix : un seul tube, en fonction de la complexité du site, peut coûter entre 200.000 et 400.000 francs, et ne pourra jamais faire partir les mini-avalanches que sur un seul couloir. Pour une protection complète, il faudrait multiplier les tubes par le nombre de réservoirs à valanches

A la veille des Jeux Olympiques d'Albertville, il importe aux responsables de la sécurité avalanches des massifs de renforcer encore leurs efforts. Des mesures particulières de sécurité ont ainsi été prises sur les sites olympiques, indique-t-on au Comité d'Organisation, comme sur la face de Bellevarde, qui surplombe Val d'Isère. Mais aussi sur les routes qui mènent aux stations. ce sont la plupart du temps des mesures "passives", comme les tunnels de protection, les rateaux de fixation de la neige sur les pentes. Pour éviter de voir des milliers de spectateurs bloqués dans une station par simple coupure de la route d'accès par une coulée.

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