jeudi 6 mars 2008

Brancher puces et neurones

1991

Dans notre monde grouillant de créatures électroniques, l'idéal, pour mieux dialoguer avec les machines, serait encore de greffer directement quelques puces de silicium sur des neurones de notre cerveau. Plus d'embouteillage de mots, plus de soucis de frappe fastidieuses sur clavier, ou de lectures harassante sur écran : l'ordinateur serait directement "branché" sur le cerveau.
Cette vision "extrème" de l'évolution de l'interface entre l'homme et l'électronique relève pour l'heure de la plus pure "technologie fiction". Mais certains scientifiques y pensent, à long terme. Depuis quelques semaines, l'objectif de développer des bio-senseurs et des circuits neuro-électroniques parait même un peu plus réaliste. Après de premières tentatives spectaculaires mais stériles dans ce domaine, au début des années 80, un premier pas vient en effet d'être franchit : une petite jonction électrique a été formée entre une cellule nerveuse et du silicium, au laboratoire de biophysique de l'université d'Ulm, en Allemagne. Peter Fromherz et Andreas Offenhäusser y sont parvenus à greffer des neurones de sangsues sur du silicium oxydé, obtenant avec cet ensemble pour le moins hybride un comportement du type transistor à effet de champ (1), contrôlé par la tension délivrée par le neurone.
L'objectif de recherches aussi spéculatives est triple. Il s'agit d'explorer dans un premier temps les capacités de cellules humaines vivantes à se coupler à des éléments électroniques, pour interagir directement avec eux. Dans une seconde phase, il sera peut-être possible de produire des élements électroniques bio-compatibles qui serviront à étudier le fonctionnement du cerveau et de réseaux neuronaux, en venant s'intercaler entre des neurones. De telles sondes seraient capables d'espionner les dialogues entres cellules nerveuses, pour déterminer les fonctions de différentes régions cérébrales ou motrices. Ou dépister le fonctionnement de sytsèmes subtils, comme celui de la douleur. Enfin, bien plus tard, on peut penser à mettre en relation une forme plus ou moins complexe d'électronique avec certaines fonctions cérébrales. Et réaliser de véritables "prothèses" bio-électroniques pour compenser des déficiences fonctionnelles, comme chez les non-voyants, ou faciliter certaines acquisitions d'informations, chez des pilotes que l'on doterait d'une vision "améliorée" à l'aide de caméras greffées sur des neurones.
Plus proche de nous, l'ordinateur "biologique", dont les composants ne seraient plus seulement électroniques, mais en partie vivants, utiliserait des cellules nerveuses ou des bactéries pour stocker des informations de manière plus souple et plus économe en énergie que les actuelles mémoires des ordinateurs. Pur phantasme ? Peut-être. Mais même rudimentaires, les premières application de composants bio-électroniques pourraient surtout venir compléter les technologies des bio-capteurs, pour en faire exploser le nombre d'applications.
Un bio-capteur, c'est un espion parfait du monde chimique. Un traître capable de déceler la présence, en infimes quantités, de substances importantes comme le glucose, les ions sodium ou l'oxygène. Une sorte de papille gustative artificielle, capable de goûter des substances que nos sens grossiers ne savent pas déceler. L'intérèt ? Suivre pas à pas l'évolution biochimique d'un milieu, que ce soit à l'intérieur d'un organe du corps humain, ou dans une cuve de fermentation destinée à produire des substances pharmaceutiques par génie génétique.
Précisément, les bio-capteurs aujourd'hui disponibles dans les laboratoires ne sont pas assez rapides, peu sensibles, et relativement peu fiables. Et plus d'une douzaine de firmes son engagés dans une compétition internationale au couteau, dont l'enjeu est la mise au point d'une génération de capteurs vraiment efficaces. Ce serait là une évolution majeure : à base de structures métalliques (oxydes d'aluminium) et de membranes de polymères (plastiques), de tels capteurs pourraient recouvrir les parois des puits pour veiller de façon permanente à la qualité de l'eau, dans les nappes phréatiques. Installées dans le sous-sol et reliées à des ordinateurs, ces sentinelles détecteraient immédiatement toute infiltration de substances toxiques. En recherche, les applications potentielles sont légions, comme la détection des neurotransmetteurs qui agissent entre terminaisons nerveuses. Et parmi les retombées médicales, l'une des plus cruciales serait le contrôle en temps réel du taux de glucose dans le sang. Installés dans les vaisseaux sanguins, ils offriraient à des diabétiques de réguler leur taux de sucre en déclanchant l'injection à la demande d'insuline dans leur organisme, au moyen de micro-pompes. Les industriels ne sont pas les derniers intéressés. Une bonne part de l'efficacité des productions biotechnologiques repose sur la capacité à contrôler les réactions de fermentation dans les grandes cuves industrielles, tâche qui pourrait être confiée avec une grande efficacité à des membranes capables de détecter des substances déterminées avec une précision micrométrique.
Dans l'environnement, il serait encore possible de détecter immédiatement, dans les champs, toute concentration excessive de pesticides ou d'engrais. Bref, partout où il est devenu crucial de pister des quantités infinitésimales de produits actifs, les "bio-capteurs" sont promis à une développement comparable à celui des composants électroniques : foudroyant.








(1) Science, vol 252, page 1290

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