mardi 2 mars 2010

Fabre/2/Le Scarabée

surtitre Série d'été

Sur titre Les étonnants insectes de Jean-Henri Fabre, entomologiste

titre. 2. Scarabée, le bandit manchot

sous-titre Les comportement que l'on prête aux insectes sont souvent inspirés de ceux que nous nous connaissons. Un exemple avec la coopération entre scarabées, dénoncée et démasquée par Fabre, et qui recouvre en fait une féroce compétition.

Patrice LANOY

C'est une de ces belles journées de printemps, comme on aimerait en mettre en réserve dans le panier de la vie. Le mistral est là, qui ondule la Provence à grande bouffées. Et dans une sente, entre thyms et aubépines un étrange convoi chemine. C'est une pomme, non une boule brunâtre, qui avance dans la poussière. On regarde. Il y a cortège. Un énergumène, petit diable noir s'agite, et pousse sa balle immense, trois fois plus haute. D'ailleurs il s'en tire avec les honneurs, le fébrile. C'est un bousier. Oui mais le plus grand, le plus noble. Le Scarabée sacré. Celui que les Egyptiens de l'antiquité soupçonnaient de charrier le monde...

Lui ne s'émeut guère de tout cela. Il a la tête à sa boule de fiente, qui roule. Dans une incroyable position, la tête en bas, ses pattes arrières vers le ciel, posées sur la sphère, et ses pattes de devant qui s'arc-boutent sur le sol, il pilote. Et sa vitesse de croisière est impressionnante.

Surgit sa copie, un cousin. Un autre petit colosse, à l'armure noire et moirée. Eh, collègue, un coup de main ? Lui aussi va se mettre à pousser la boule. La même. Merci. Ils sont deux maintenant. Et d'ailleurs ils montent un raidillon difficile, l'un bloquant la boule dès que l'autre fatigue. C'est chouette la nature, le royaume de l'entraide...

C'est ce que pensaient au siècle dernier les spécialistes de ces insectes, qui souvent avaient assisté à de telles scènes. Jean-Henri Fabre, lui, est sceptique. Prêter un comportement humain, comme l'entraide, à des insectes ? A vérifier. En enquêteur de terrain, Fabre va passer des semaines, des mois, à contempler les petits pousseurs de bouse. Allant jusqu'à quémander alentour du crottin pour le besoin de ses expériences ("....cueillir honteusement, à la dérobée, dans un cornet de papier, l'offrande qu'un mulet passant déposait...") Grâce à ses observations, nous savons ce qui se passe entre les deux sacrés hapogastres, après....

Le propriétaire du ballon, toujours reste à la même place. Tête en bas, moteur en marche arrière, il pousse sur les bras. L'autre virevolte. Il s'éloigne, revient, fait mine de pousser un peu. Eh je participe, quoi.... Puis lorsqu'il fatigue, d'un bond grimpe sur la boule, rentre ses pattes sous sa cuirasse et fait le mort. Carrément se laisse rouler avec le reste, passant même sous la roue au hasard des avancés. Sa faisant carrosser comme s'il était partie de cette matière mobile. Vous parlez d'une aide... Un poids mort, oui.

Arrive la fin du parcours. Le chauffeur a cessé de conduire, il souffle à peine et tâte le sol de ses antennes. C'est un joli coin, non ?

Il creuse. De ses pattes avant bien plates, dépourvues de tarses (ce qui en fait, comme tous ceux de son espèce, un manchot), il creuse encore. Un large trou, à la mesure de la pomme. L'autre, le pseudo-assistant, le voyeur, le contemple, bien installé à proximité de la précieuse sphère. Le trou s'agrandit. De plus en plus, le propriétaire reste longuement au fond. Le travail le retient. Soudain, n'y tenant plus, pas vu pas pris, l'autre prend la poudre d'escampette. Avec le butin, c'est entendu. A toute vapeur il pousse et roule, mettant le plus de vent possible entre lui et le terrassier.

Plusieurs mètres ont été parcourus avant que le mineur ne remonte vers la surface. Hola ! Il faut croire que la chose le surprend à peine. Il n'hésite pas. Le voilà qui file, reniflant à peine la piste, et retrouve la trace du maraud. Un sprint effréné, et il le rejoint. L'autre, voyant le nuage arriver a compris. Et avant d'être rejoint il a déjà quitté la position du voleur-pousseur pour celle, plus innocente, du comparse-sauveur qui peine à bloquer cette satanée boule, qui d'un coup, est partie rouler dans la pente. Si je n'avais pas été là...

Le quasi-volé garde son calme. Et de concert, les deux reconduisent ensemble la pomme vers la galerie. Ils vont s'enfermer ensemble dans le terrier, et déguster la friandise, de longues journées durant.

Parfois, les choses tournent au pugilat, dès la confection de la boule commencée, près des offrandes des mulets ou des moutons. Question de rapport de forces, suggère Fabre. Si l'un des deux se sent plus fort, il attaque. Si les deux protagonistes sont de force équivalente, et le sentent, ils évitent le conflit de cette manière.... Mais en matière d'association, il n faut pas rêver.

Autre étonnement de l'homme de Sérignan. Meme abondamment pourvu de bouses, en captivité, rassasiés, les scarabées continuent à afficher ce comportement de bandits...

sign. P.L.

Note : Cette série d'article est inspirée des "Souvenirs entomologiques", dans l'édition Laffont-Bouquins. On pourra aussi lire le livre d'Yves Delange, "Fabre, l'homme qui aimait les insectes" (Ed Champion-Slatkine). Pour les passionnés la visite de l'Harmas, la maison-musée de Fabre à Sérignan, près d'Orange, s'impose.

prochain article : la chirurgie du Sphex

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