mardi 2 mars 2010

Fabre/1/Le Capricorne

surtitre Série d'été :

Sur titre Les étonnants insectes de Jean-Henri Fabre, entomologiste

titre. 1. L'enfer du Capricorne

sous-titre La larve de ce coléoptère, vorace habitant des entrailles des arbres, est capable de préparer, d'instinct, le chemin vers la liberté qu'empruntera sa forme adulte. Oui mais comment

texte

Capricorne est un creuseur de fond. Un forçat enchaîné à son festin de bois. Trois ans durant, aveugle, sourd, sans odorat, "ce bout d'intestin qui rampe", comme le dépeint Fabre dévore, grignote au coeur des arbres. Rien ne résiste aux bouchées de la larve obstinée, pas même les plus durs, ces chênes qui s'abattent parfois, sous un orage d'été, découvrant un entremêlis tunneliers.

Car son tunnel, ce boyau qui fait des loopings au fond du bois et qu'il rebouche de ses excréments, est à la fois aliment et maison. "Vivre et couvert", dit Fabre. Et il s'en porte bien, le mou taraudeur, puisqu'a force des bouchées qu'inflige sa mandibule noire, sorte de cuiller à bord tranchant, il accumule la graisse dans son enveloppe blanchâtre.

Mais Cerambyx miles (Capricorne du chêne) est aussi porteur d'un mystère. Comment un tel écervelé fait-il pour accomplir tout ce cirque ? Car manège il y a : l'intestin aveugle va, un beau jour, cesser de se gaver du coeur juteux de l'arbre. Sous l'effet de quel signal biochimique, de quelle horloge interne, ou de quelle modification de la sève ? Peu importe. Toujours est-il qu'alors le vorace abruti met le cap vers l'écorce. Parvenu à fleur d'air, au risque de se faire happer par un pic qui piquerait par là ("qui ferait régal de la succulente andouillette"), il prépare une petite fenêtre, une sorte de porte un peu camouflée. Son ouverture faite, il s'en retourne un peu plus profond et prépare cette fois avec un soin maniaque sa chambre. Un lieu douillet où il pourra réaliser sa nymphose, sa transformation en imago rigide et à longues antennes.

Des années durant, Fabre fait débiter par les bûcherons de sa Provence les plus vieux arbres, les plus malades, et recueille larves et coléoptères. Des mois il les enferme dans de petites boîtes de chêne, de bambou, pour tester leur capacité à percer. En déduit que c'est bien la larve qui prépare la sortie, et non l'imago, incapable de tarauder. Il note mille choses. Que la chambre de la nymphe, menacée par les prédateurs maraudeurs a son orifice clos d'un composite, un sandwich de trois matériaux : à l'extérieur des débris ligneux, du bois haché. Puis un opercule minéral, un couvercle d'un seul tenant, fait de pâte calcaire et d'un ciment organique, qui prête à cette pilule la résistance du roc. On peut s'étonner au passage que l'estomac de la larve soit capable, à un moment de son existence, de changer de régime, et de sécréter un tel opercule. Fabre répond que de nombreux insectes, comme le Sphex ou les Scolies sont capables de prouesses chimiques de cet acabit, et usinent par exemple la laque dont il enduisent leur cocon.

Enfin le précieux couvercle comporte parfois, sur sa face intérieure, une couche de copeaux.

La chambre de la nymphe est totalement adaptée au cours des événements : un ellipsoïde aplati, de dix centimètres de long et de deux à trois centimètres de large dans les deux directions, au centre. Une forme et une taille qui permettront à l'animal adulte de manoeuvrer pour abattre la porte et gagner la sortie préparée dans l'écorce.

Fabre observe en détail jusqu'au revêtement de feutre de bois que l'animal méticuleux dispose sur les parois, probablement pour protéger sa future et fragile enveloppe de nymphe. Toujours la larve "s'endort" la tête vers la porte de sortie. C'est une question de vie ou de mort. Devenu coléoptère, avec son exosquelette rigide et encombrant, la bête ne pourrait plus se retourner. Incapable de se ruer vers la porte pour la faire sauter, l'animal serait perdu, emmuré dans son trou. Mais comment le sait-il ? Comment un être aussi simple et isolé de ses frères peut-il deviner tant de choses ? Aujourd'hui c'est une fausse question. Fabre la pose avec l'intelligence de son temps. Il répond par l'instinct, par l'inné, à l'heure ou l'on débat des idées de Darwin et de Lamarck. Mais sait bien, mille détails le prouvent, que ce sujet là reste à explorer. Et s'il opte bien sûr pour le comportement inné, il reste en retrait sur l'explication évolutionniste ou finaliste. Soigneusement.

Plutôt que de réagir en homme de système, voulant à tout prix faire entrer les faits dans un modèle théorique Fabre scrute, accumule les détails, combat les idées fausses -et elles ne manquent pas- sur le comportement des insectes. L'époque est en déficit d'observation. Les systémistes débattent souvent au-dessus d'abîmes de vide. Du comportement animal, on n'a que des ignorances. Quant à Fabre, on peut le soupçonner d'espèrer saisir dans les dédales des galeries d'un animal, au détour d'une compétence d'une cigale, un élément nouveau, inclassable ou signifiant. Observer, donc. C'est son obsession, et il déploie des trésor d'énergie et d'imagination pour cela. A l'Harmas, sa maison de Sérignan, un enfant qui lui signale un Sphex (guêpe parasite) traînant sa proie suffit à le faire surgir de son bureau, loupe à la main, pour aller observer, même s'il a déjà vu ce spectacle des dizaines de fois... Ne sait-on jamais ?

La semaine prochaine : La bataille des scarabées

Note : Cette série d'article est inspirée des "Souvenirs entomologiques", dans l'édition Laffont-Bouquins. On pourra aussi lire le livre d'Yves Delange, "Fabre, l'homme qui aimait les insectes" (Ed Champion-Slatkine). Pour les passionnés la visite de l'Harmas, la maison-musée de Fabre à Sérignan, près d'Orange, s'impose.

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