vendredi 13 juin 2008

Immunofluorescence

Immunofluorescence
1994

Une bataille peut-elle être belle ? Cette question, c'est à des chercheurs comme Nancy Kedersha qu'il faut l'adresser. La jeune immunologiste américaine est une spécialiste mondialement reconnue du démontage des mécanismes du vivant. Sous ses yeux, des millions de cellules ont livré le combat de leur survie. Avoué leurs secrets.

Nancy n'est pas la seule chercheuse à utiliser l'immunofluorescence. La technique consiste à accoler des étiquettes colorées à des torpilles chimiques qui vont s'agripper à des cibles précises sur la cellule . Fluorescentes, ces marques s'illumineront lorsqu'on les fera passer sous une lumière bien précise, et révèleront l'anatomie intime des endroits ou elles ont été accueillies. Grâce à cette astuce aussi simple que jolie, les chercheurs peuvent voir les contours d'une cellule nerveuse, mais aussi traquer les effets de leurs molécules-médicament au contact de fibroplastes de la peau. Ils voient les substances, des "anticorps" ainsi colorés qui s'amarrent vigoureusement à la cellule, ceux qui font pénétrer le médicament qu'ils portent sur le dos à travers la muraille cellulaire et vont le livrer au bon endroit... Car en "ouvrant" les parois des cellules vivantes, on peut faire pénétrer ces missiles colorés dans la cellule. En se fixant à certaines protéines, ils dénoncent alors le fonctionnement intime de la microscopique usine du vivant....

Nancy a développé dans ce domaine une technique et un regard hors pair. Etudiante préparant sa thèse, elle a peaufiné jusqu'à l'extrème sa technique sur son microscope à fluorescence. Découvrant du coup dans les cellules des parties inconnues jusque là, des structures en forme d'arches (ribonucléoprotéines), omniprésentes, et dont on ignore toujours à quoi elles servent vraiment.

C'est ce regard "pénétrant" qui a intéressé les responsables de la société ImmunoGen de Cambridge (Massachusetts). Cette société mise actuellement sur le développement d'une nouvelle famille de médicaments contre le cancer, et ses responsables ont demandé à Nancy de venir observer chez eux l'effet de divers candidats-médicaments sur les cellules vivantes.
Le résultat de ces années de labeur? Un feu d'artifice coloré, un monde irréel, dont l'enjeu n'est pourtant rien moins que le combat pour la vie.

"Le plus étonnant, dans ce genre de travail, concède Nancy, c'est la manière dont les cellules conservent leurs caractéristiques, même quand vous les mettez en culture en éprouvette. C'est un peu comme si vous preniez des gendarmes et des voleurs, vous les mettiez sur une île déserte sans leurs armes, et qu'ils continuent à se poursuivre"....

Surtout, les cellules conservent leur capacité à "dialoguer" avec quantités d'agents extérieurs, les anti-corps.
A sa surface, chaque cellule porte des milliers de marques caractéristiques, des molécules chimiques qui font son empreinte, sa carte d'identité. Ces antigènes sont visités et lus par d'autres molécules, des anticorps présents à l'extérieur, et qui viennent épouser les formes des antigènes pour les identifier. Dans ce chaos de reconnaissances mutuelles, de tâtonnements chimiques, un intrus est identifié, dénoncé. Et les ordres d'attaque sont aussitôt donnés par une chaîne de réaction du système immunitaire, chargée d'ordonner le ménage et de faire balayer l'intrus.

Cela fonctionne plutôt bien. Même si certains envahisseurs, virus, bactéries ou parasites se sont adaptés en développant des astuces pour demeurer "illisibles", ou "invisibles", aux anticorps du système immunitaire. Dans le cas du cancer, il reste à comprendre pourquoi les cellules cancéreuses, qui pourtant ont une signature, un profil d'antigènes tout à fait particulier et différent de celui des cellules saines, ne sont pas exterminées par les défenses de l'organisme.

"Probablement le sont-elles, explique Wolf-Herman Fridman, directeur du laboratoire d'immunologie cellulaire de l'Institut Curie, mais le cancer se développe quand le système immunitaire ne fonctionne pas de façon suffisamment efficace...."
Cette déficience, les chercheurs veulent aujourd'hui la combler en jouant sur les arguments même de la défense. En fabricant des anticorps spécifiques, qui sachent parfaitement reconnaître les cellules cancéreuses et se fixer à la seule surface de celles-ci. En leur associant des substances toxiques, ils parviennent à faire converger les produits anti-cancéreux au coeur des tissus malades, en évitant leur dispersion dans le reste de l'organisme. Un progrès de taille par rapport aux techniques de chimiothérapie "aveugles", dont les effets de frappe massive sur l'organisme limitent trop souvent l'usage.
Parmi les substances qui pourraient ainsi se laisser guider par les anticorps, la ricine. Les immunologistes d'ImmunoGen pensent que cet extrait du ricin, capable à la dose de quelques molécules de tuer une cellule, pourra achever le travail dans le cas de chimiothérapies incomplètes, voire de remplacer celles-ci, à des doses mille fois moindre...

Le développement continu des techniques d'immunofluorescence progresse aujourd'hui à pas de géant. Les images que vous avez sous les yeux sont bien plus riches d'informations que celles que l'on obtenait il y a quelques années. Avec trois couleurs, bleu, rouge et vert, les fluorochromes permettent désormais de marquer différents effets des anticorps à l'intérieur même de la cellule, de cerner différentes étapes de la machinerie.
On a ainsi pu comprendre comment agissait le taxol, cet extrait de l'if qui s'avère un efficace agent anticancéreux. Il empêche le fonctionnement des microtubules, de petites structures qui interviennent lors de la copie des chromosomes en vue de la division cellulaire.

Dénonçant la présence la plus discrète, ces étiquettes fluorescentes peuvent aussi traquer un démarrage cancéreux avant-même qu'il ne soit observable. En trouvant de la kératine dans des tissus osseux, où cette substance n'a rien à faire, les biologistes peuvent diagnostiquer un affolement cellulaire correspondant à un cancer précoce.
Et demain ?

"Ces techniques vont se généraliser, on peut aujourd'hui directement regarder dans un microscope à immunofluorescence, alors qu'il y a quelques années, il fallait passer par la photographie", explique Jean Davoust, chercheur au centre d'immunologie de Marseille-Luminy (INSERM-CNRS).
Sur son écran, le biologiste pourra "visiter" la cellule sur laquelle il doit travailler. Y pénétrer pour un voyage virtuel, qui lui permettra d'assister en direct à l'action des médicaments convoyés par les anticorps...

Un fantasme ?
La microscopie confocale, où les points de fluorescence sont lus par un petit faisceau laser, les coordonnées enregistrées, permet déjà de restituer une image en trois dimensions de la cellule. Avec une précision aussi étonnante qu'émouvante.

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